53 - Floraison

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C'est avec les utopies qu'on construit l'avenir
et avec les rêves qu'on avance.

Michel Boujenah





2006


« — ... et ça me tue de l'admettre, mais je ne supporterai pas de te perdre, Kenji. Alors épargne-moi tes grands discours : cette bataille, je la mènerai avec toi.
— Qu'est-ce que tu es têtue ! s'exclama Kenji, son ton mêlant l'agacement et l'admiration. Tu ne comprends pas...
Le guerrier marqua une pause et reprit son souffle avant de planter ses yeux dans ceux en colère de Konoha.
— Je ne veux que te protéger. Que tu vives une longue et belle vie... »

       La brise printanière caressa le visage de Mikey, étendu dans l'herbe, la tête confortablement posée sur les jambes d'Akina, les paupières closes. La fin de l'année approchait à grands pas. En avril, ils entameraient leur toute dernière année de lycée.

       Les deux amis avaient fini par se réconcilier et retrouver leur complicité naturelle, malgré parfois une légère gêne : Jade n'avait jamais répondu à sa pseudo-déclaration. Embarrassé, Mikey avait donc choisi de reléguer cet étrange épisode au fin fond de son esprit plutôt que de la relancer et risquer un potentiel rejet. Son amitié comptait plus qu'une simple amourette de gosse...

       Alors qu'il se prélassait, bercé par les mots de la jeune fille, il marmonna :

— Qu'est-ce que c'est cucul...

       Les pages du fameux bouquin de Jade s'amenuisaient entre ses doigts. Il devait bien reconnaître qu'il s'était laissé happer par le récit. Chaque mot, chaque ligne, étaient imprégnés de magie et de rêve. Désormais, il comprenait mieux pourquoi Aki y était si attachée. Cette histoire était bien plus qu'un simple livre : elle incarnait le lien précieux entre elle et son père, une passerelle vers un passé presque insouciant et heureux. Une résonance nostalgique qui ne lui était pas si étrangère.

       Quand lui-même tentait de se souvenir de sa mère, seul un écho lointain de leurs échanges sur ses bagarres subsistait dans sa mémoire. Ces conversations animées, qu'il lui relatait avec un enthousiasme débordant, semblaient être les seuls vestiges tangibles de leur relation. Il aurait aimé partager bien plus que ces discussions superficielles ; hélas, à cet âge, il n'avait pu mesurer l'ampleur de ce que l'absence de la mort signifiait.

       Son père, lui, n'avait fait que traverser son existence. Son fantôme n'était qu'une chimère qui ne suscitait en lui aucune forme de nostalgie. Shin'ichirō avait assuré le rôle paternel avec brio, mais avec Maman, c'était différent.

       « Tu n'es pas fort parce que tu ne pleures pas, Manjirō. », lui disait-elle.

       Ça ne t'a pas empêché de partir pour autant.

       Mikey fronça le nez lorsqu'il reçut la tranche du livre sur son visage. Il rouvrit les yeux et se retrouva plongé dans le regard profond et limpide d'Aki. Une mer de ciel.

— Ils risquent de mourir sur le champ de bataille. Ils ont le courage de s'avouer leurs sentiments.

— M'ouais, souffla-il en ignorant les émotions qui le traversèrent à ces mots.

       Les rires d'Aki, tels des éclats de lumière dans l'obscurité ; sa façon de le regarder parfois en classe lorsqu'il lui lançait des boulettes de papier pour la déconcentrer, ses sourires en coin quand elle lisait une blague qu'il lui envoyait par message, cette pointe de sarcasme si elle désapprouvait ses actions... Depuis leur dispute, puis leur réconciliation, il semblait à Mikey que leurs échanges étaient certes, plus timides, mais accompagnés d'un sentiment nouveau, encore obscur pour eux.

IzanamiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant