Izanami

52 - Silence affectif

M'aimes-tu assez pour que je sois faible avec toi ?

Alain de Botton

— Si tu m'avais demandé, je t'aurais dit que c'est une idée de merde. C'est comme ça que j'me suis ramassé mon premier râteau.

       Mikey grommela, affalé sur une chaise, observant Shin bricoler dans son garage.

       Cela faisait déjà deux semaines qu'Akina refusait de lui adresser la parole et qu'elle le fuyait comme la peste. Elle restait constamment entourée de ses amies, ne lui décochait pas le moindre regard et ne papotait avec Draken que lorsqu'il se retrouvait seul. En gros, elle lui en voulait à mort.

— Puis tu m'as dit plein de fois qu'elle était rancunière. Tu vas ramer j'crois.

— Merci du soutien, hein.

       Shin s'essuya le front avec sa manche, puis déposa sa clé dans sa boîte à outils avant de retirer ses gants. Son petit frère avait les nerfs à vif avec cette histoire.

— Pourquoi t'as fait ça ?

— Mais j'en sais rien, p'tain ! L'autre con d'Ito n'arrêtait pas de faire le malin depuis le début du cours, il m'a saoulé, j'ai voulu lui faire fermer son claque merde.

— En embrassant Jade ?

       Mikey enfonça son visage dans le col de son sweat, l'air bougon. Lui-même restait perplexe quant à son comportement. Il aurait pu se contenter de casser la gueule d'Ito... Après tout, ce pauvre type emmerdait Aki : il la collait depuis plusieurs semaines, avec ses stupides sourires en coin et ses yeux de merlan frit. Mais ce simple constat n'expliquait pas pourquoi il avait ressenti ce désir presque vital de l'embrasser et de marquer son appartenance...

— T'façon, elle fait la gueule, répondit-il pour éviter sa question.

— ... T'as essayé de lui expliquer ?

— Nan, elle m'évite.

       Elle pouvait lui en vouloir, oui, mais aussi longtemps ? Ce cinéma durait déjà depuis deux semaines ! Il avait même fait l'effort de lui envoyer des textos où il s'excusait, tous restés sans réponse.

— Et lui dire simplement que t'es amoureux d'elle ?

       Mikey mit plusieurs longues secondes avant de capter la bombe que venait de lâcher Shin'ichirō. Il se redressa comme s'il venait de se prendre une décharge et lui adressa un regard noir, presque violent.

— Quoi ?!

       Shin' sembla étonné de cette réaction.

— Bah ? T'aimes pas Akina ?

       Un feu brusque, flamboyant, sévissait au fond de ses entrailles. Mais loin de la rage destructrice qui pouvait parfois l'animer, cet incendie-là était différent. Une flamme nouvelle séjournait dans cet enfer. Un foyer doux, presque chaleureux, allumé par l'étincelle de cette pierre de Jade.

— J'suis pas comme toi à tomber amoureux de chaque fille que je vois.

       Le changement qui s'était opéré en lui était si insidieux qu'il ne l'avait pas tout de suite remarqué. C'était comme si Shin'ichirō venait de décortiquer son esprit et lui avait balancé les pièces, sans le mode d'emploi. C'était là, devant lui, implacable vérité dont il était resté ignorant tout ce temps.

       Et pourtant, cette sensation d'être incomplet sans cette pièce, la pénurie de ses iris, cette désorientation sans l'arôme de cette fleur... C'était la faiblesse qu'il ne pouvait renier.