Izanami

76 - Mort imminente

       Le murmure des insectes, cachés parmi les plantes et le feuillage, tintait agréablement aux oreilles d'Akina. Les paupières closes, elle profitait de cette accalmie pour se reposer, lovée dans cette étreinte chaleureuse. Une douce fragrance de fruit, un peu enfantine, flottait parmi les arômes floraux environnants. Il régnait là une plénitude comme elle n'en avait jamais connu. Un sentiment de sécurité et d'amour incommensurable. Où se trouvait-elle au juste ?

       Lorsque Aki rouvrit les yeux, son cœur manqua un battement à la vue du vide en contrebas. Un léger sursaut, en écho au sien, lui indiqua qu'elle n'était pas seule face au soleil qui déclinait dans l'horizon, fendu par les gratte-ciels de la capitale.

— T'as quoi, trouillarde ? Une petite bébête t'est montée dessus ?

       À cette voix, les yeux d'Aki s'embuèrent de larmes. Ce timbre à la fois un peu grave, mais mélodieux, ne pouvait appartenir qu'à une seule personne.

— Manjirō...

— ... Quoi ?

— Où est-ce qu'on est ?

       Akina sentit une main douce se poser sur sa tête, puis un visage s'avança, toujours voilé par cette étrange lueur qui brouillait ses traits.

— Dans notre base secrète. T'es cheloue.

       À son ton, elle devina son inquiétude. Même en rêve, elle donnait l'impression d'être folle, incapable de se rappeler, incapable de reconnaître ces lieux qui devraient lui être familiers. Quelque chose manquait à sa mémoire. Ces rêves nouveaux, parfois ordinaires, parfois hantés par le souvenir de Mikey, étaient-ils des fragments d'une vie passée ? L'idée paraissait absurde, cependant, cette possibilité ne quittait pas son esprit.

— Aki ? Tout va bien ?

— Comment je peux te retrouver ?

       Un silence prit place sur ce toit en friche entouré de végétation, comme une douleur retenue.

— Il faudrait déjà que tu te réveilles.

       Face à son regard perplexe, Manjirō désigna le vide d'un signe de tête et Jade sursauta de nouveau, les yeux écarquillés. C'était elle, là ? En bas ?

— ... Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Tu t'es fait renverser. Ils essaient de te sauver.

       Étrangement, ce fait ne la perturba pas plus que cela. Au contraire, la chaleur de cette lumière dorée, le murmure apaisant du vent dans les arbres et la présence rassurante de Manjirō enveloppaient son esprit d'une quiétude presque surnaturelle. Un cocon de paix. Une enfant blottit contre ses proches.

       Ici, elle ne ressentait ni douleur, ni urgence ; seulement un amour profond, si pur qu'il surpassait tout ce qu'elle avait connu. Cette bienveillance effaçait toute trace de peur ; l'empêchait de céder à la panique qui aurait dû la pétrifier en apprenant sa mort imminente.

— Je vais mourir ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas, c'est à toi de voir. Mais je pense que des gens n'ont pas envie de te voir partir tout de suite.

       Akina sentit Manjirō se lever et saisir sa main avec douceur. Campé tout au bord du toit, il lui offrit un sourire tendre avant de se laisser tomber dans le vide. Le monde se déroba sous ses pieds, et elle fut entraînée dans une chute vertigineuse. La civière sur laquelle elle reposait jusqu'alors se brouilla dans un patchwork de couleurs, puis laissa place à des urgentistes qui tentaient de la réanimer sur ce brancard brinquebalant le long de cet interminable couloir blanc.