54 - L'aube des cœurs

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Toute personne qui tombe amoureuse est
à la recherche des morceaux manquants d'elle-même.

Haruki Murakami




       Le lendemain de leur escapade nocturne, après un sermon en règle, les deux adolescents n'avaient pas eu droit à la dernière sortie libre, punition justifiée vu l'inquiétude qu'ils avaient causée. Les professeurs étaient unanimes : ces deux énergumènes risquaient de faire rater le train à tout le monde s'ils mettaient à nouveau les voiles ensemble.

       À leur grand désarroi, Jade et Mikey durent donc passer les dernières heures à Kyoto en compagnie de ces adultes ennuyants. En dépit de plusieurs tentatives désespérées du blond pour s'éclipser, les professeurs avaient veillé au grain pour l'empêcher de se faire la malle. La frustration avait été lisible sur les visages des deux adolescents, contraints de subir cette sorte de « garderie » improvisée, et ils furent presque soulagés de monter à bord du train pour rentrer, enfin hors de portée.

       De retour à Tokyo, l'effervescence provoquée par le voyage ne tarissait pas : tout le monde restait surexcité. Parmi la foule, Mikey ne quittait pas Jade des yeux, un brin frustré. Mis à part leur escapade, il n'avait initié aucun rapprochement démonstratif. Pourtant, ni les occasions ni son envie, n'avaient manqué.

       Depuis qu'il avait embrassé Jade, une tempête de sentiments inconnus et de questionnements incessants ne cessait de lui torturer l'esprit. Il avait traversé de nombreuses phases avant d'accepter ce qui l'avait rendu aussi taciturne durant leur conflit. Finalement, cette sortie scolaire, loin de leur quotidien habituel, n'avait fait que confirmer ses doutes, s'il en subsistait encore. En vérité, une seule émotion négative demeurait : la peur.

       Combien de fois s'était-il remémoré cette phrase dans le couloir ?

       Combien de fois avait-il analysé et surinterprété ces mots ?

       « Redevenir potes, c'est déjà bien. »

       ... Et après ?

       Mikey échappa un discret souffle exaspéré. S'il ne lui posait pas la question, il ne connaîtrait jamais la réponse, mais c'était bien tout le problème. Il redoutait de perdre ce précieux lien patiemment tissé à deux. Pourtant, certains signes ne trompaient pas. Ou alors, se fourvoyait-il ? Après tout, ce n'était là que des interprétations de sa part. Peut-être rougissait-elle pour rien. Peut-être le regardait-elle de cette façon douce juste parce qu'ils étaient amis et rien de plus. Peut-être qu'elle toussotait pile chaque fois qu'il frôlait sa main ou son bras parce qu'elle avait vraiment un chat dans la gorge. Peut-être.

       Son instinct avait beau lui souffler de lâcher prise, Mikey s'entêtait à reculer l'échéance, préférant un confort familier, aussi amer soit-il, plutôt que de prendre le risque de tout perdre... À moins de tout gagner ?

       Le jeune demeura encore plusieurs secondes immobile avant de s'avancer vers son amie, que ses copines venaient de quitter.

— J'te ramène ?

       Surprise, Jade sursauta, puis le toisa, son expression passant de l'étonnement à la réflexion. Mikey remarqua de douces rougeurs prendre place sur ses pommettes suite à sa question et il sentit son cœur se réchauffer alors de ce feu particulier, celui qui ne pouvait naître qu'à ses côtés.

— Je ne dis pas non, le métro va être bondé.

       Mikey sourit, inondé par cette indescriptible sensation de béatitude à ces mots.

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