Izanami

47 - Mélodie d'innocence

Le silence, c'est la conversation de gens qui s'aiment.

Camus

       2002

       Quatre années.

       Dans quelques mois, Mikey entamerait sa quatrième année aux côtés de Jade. Ils étaient désormais au collège.

       Le blond arrêta son scooter devant un immeuble vieillot et attendit, une main sur son guidon. Dans le froid hivernal, il s'amusa à souffler dans l'air pour faire apparaître un nuage blanc d'entre ses lèvres jusqu'à ce qu'un bruit n'attire son attention. Au deuxième étage, il aperçut la mère de Jade ouvrir mollement la porte avant que son amie ne surgisse par l'entrebâillement. Depuis la dernière fois qu'il avait vu Mme Harada, il lui semblait qu'elle avait encore maigri. Cependant, ses préoccupations s'évaporèrent dès l'instant où le sourire d'Aki l'éclaira.

— Salut Mikey.

       Comme à son habitude, Jade enfila le casque qu'il lui prêtait, puis prit ensuite place derrière lui. Et comme à chaque fois, une sensation étrange de bien-être envahissait son ventre lorsqu'il sentait ses bras entourer sa taille. Un rayon de soleil au cœur de l'hiver.

— Accroche-toi bien hein, t'as failli te ramasser hier.

— Si tu arrêtais de faire l'imbécile aussi, souffla-t-elle en roulant des yeux.

       Elle réaffirma cependant son étreinte, puis, satisfait, Mikey démarra enfin.

       Quelques mois après le décès de son père, Jade avait été contrainte de déménager dans un quartier non loin. Sa mère, désormais seule pour assumer toutes les charges, avait dû trouver un appartement plus modeste. À la fin de leur primaire, Jade avait insisté pour rejoindre ses amis dans le même collège, et sa mère avait fini par abdiquer. Elle avait même consenti à ce que Mikey la conduise en scooter. À vrai dire, depuis la disparition de son mari, cette femme n'avait plus vraiment la force de se battre pour ce genre de broutilles.

— T'as quoi ce matin ?

— Maths, souffla-t-elle en descendant une fois à bon port. Et toi ?

— Japonais, j'vais pouvoir pioncer !

       Les mains dans les poches, Mikey accompagna Jade jusqu'à sa salle, rituel quotidien auquel elle n'échappait pas. Jamais elle n'avait protesté contre cette manie, reliquat de leurs années d'école primaire où ils se rendaient ensemble dans leur classe. Mikey n'avait jamais vraiment intégré qu'ils n'étaient plus dans la même depuis belle lurette. Cela ne l'empêchait pas de s'incruster aux intercours afin de lui lancer un avion en papier ou pour réclamer un dorayaki parce qu'il avait déjà avalé tous les siens.

       Leur duo atypique attirait toujours quelques regards, mais ni l'un ni l'autre ne s'en souciait outre mesure. La réputation délinquante de Mikey était la cause principale de cette attention : personne ne voulait s'attirer ses foudres. Et depuis qu'il fréquentait Jade, les rumeurs sur ses yeux ensorcelants s'étaient peu à peu dissipées.

       Mikey s'appuya mollement contre l'embrasure de la porte avant de saisir distraitement sa manche.

— Mme Nakajima n'est toujours pas revenue, t'auras personne à ton club. Tu viens zoner après les cours ?

— Où ça ?

— J'ai p't'être une idée !

       Jade lui sourit et retira à contrecœur son écharpe en frissonnant. Affronter l'hiver avec leur uniforme, surtout en jupe, était loin d'être une expérience plaisante. Mikey l'observa ranger l'étoffe dans son sac et il retira sa veste, attirant l'attention de la jeune fille dans un vif mouvement de tête, sourcils froncés. Il haussa les siens.