69 - Étendues immaculées

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— Harada vient d'être déplacée dans l'enfer froid, annonça Gozu.

       Le oni à tête de taureau, accompagné de son acolyte Mezu, gardiens des Portes, ouvrirent celles retenant Akina. Mikey plissa les yeux lorsqu'une bourrasque sifflante lui frappa le visage, dévoilant le cauchemar glacé décrit dans les nombreuses notes de la jeune femme. Un horizon déformé par la neige tourbillonnante se déployait dans l'infini apparent, d'une uniformité glaçante : pas la moindre aspérité d'une montagne déchiquetée, ni d'arbres couchés par les assauts du vent.

       Le bras relevé devant lui, le blond franchit l'embrasure, et les onis refermèrent les portes dans un claquement funeste.

       Si les enfers froids semblaient plus cléments que leurs homologues enflammés, il n'en était rien. Le climat glacial dissimulait là une douceur trompeuse. Mikey rangea la lampe qu'il tenait encore et sortit l'une des bobines de cordelette que son frère avait glissées dans leurs sacs : un moyen précieux pour ne pas se perdre s'ils devaient s'aventurer dans les limbes infernales. Il noua solidement une extrémité à l'une des poignées des portes, maintenant en train de se fondre peu à peu dans le décor blême, puis il s'élança dans la bise qui mordait déjà son corps.

       La fureur du vent menaçait de renverser Mikey à chaque instant, si bien qu'il progressait courbé pour ne pas se laisser emporter par une bourrasque insidieuse. Un pas après l'autre, prudent, il chemina lentement dans cet océan de blancheur en colère, à la recherche du moindre refuge capable de protéger une âme quelconque de ce désert mortel et inhospitalier.

— AKI ?

       Son cri se noya dans le tumulte du vent, étouffé par la furie de la tempête. Tremblant de froid, il resserra sa veste autour de ses épaules avant de continuer à marcher, marcher... Comment pouvait-il la retrouver dans ce dédale chaotique où chaque rafale effaçait le moindre repère ? Face à cet infini immaculé, Mikey ressentit à nouveau le désespoir l'étreindre. La perspective de revoir Aki avait altéré sa raison.

       Comment lui pourrait-il devenir son Sauveur alors que l'échec annihilait ses certitudes feintes ?

— AKINA ?!

       L'enfer ne se résumait pas juste à un simple contraste entre chaleur infernale et froid incisif. C'était une terre où la désolation et la détresse d'autrui régnaient en maîtres. Des contrées désertes où seule la souffrance subsistait. Un lieu façonné pour éteindre le moindre soupçon d'espoir. Ici, vous n'étiez là que pour expier. La pénitence ne connaissait ni fin ni indulgence. La rédemption était longue, peu importe la petitesse de vos fautes.

       Et dans cet univers impitoyable, un innocent n'avait pas sa place parmi les damnés.

— Aki...

       La vision de Mikey se brouilla alors qu'il perdait la notion du temps et de l'espace. Chaque minute se fondait dans une éternité glaciale. Pourquoi était-il ici ? Pourquoi s'infligeait-il encore cette épreuve ? Ses doigts gelaient, prêts à se désagréger, tout comme son corps engourdi.

       Après tout... pourquoi ne pas s'éteindre ici ? Adieu au chagrin, adieu à la lutte sans fin. Dans cet Enfer, peut-être qu'un jour, il retrouverait Akina, et que parmi leurs innombrables souffrances, il pourrait soulager ses peines en les assumant à sa place. Peut-être qu'ici, même au beau milieu du blizzard, il retrouverait malgré tout des notes de la joie maintenant si lointaine qu'il avait autrefois éprouvé.

       « T'as pas le droit. »

       Mikey rouvrit les yeux en grelottant. Il se redressa péniblement de la neige où il s'était effondré, laquelle avait déjà commencé à l'ensevelir. Ses tremblements étaient si violents qu'il peinait à se remettre sur ses pieds.

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