Crois-tu que nous pouvons vaincre cela ?
Je ne peux pas effacer chaque désastre que j'ai vu.Hiroyuki Sawano
Manjirō était resté couché dans sa chambre toute la semaine, entre vomissements impromptus, fatigue extrême et confusion. Les voyages temporels répétés laissaient finalement des conséquences néfastes insoupçonnées.
Shin', préoccupé par l'état de son frère, s'était tourné vers leur grand-père en quête désespérée de réponses, mais Mansaku l'affirma : Manjirō était le premier à avoir autant voyagé. Le luo pan servait de catalyseur à l'énergie déployée à travers la méditation : il puisait dans le voyageur lui-même pour activer le retour dans le passé ; les symptômes de Manjirō en attestaient. Depuis ce jour, le garçon s'était enfermé dans un mutisme presque total.
Au chevet de son frère, Shin' réfléchissait. Les souvenirs de son propre voyage, entrepris pour lui épargner un état végétatif, se bousculaient dans sa tête. Même si le voile de l'oubli avait en partie enfoui les détails les plus cruels de cette expérience, l'empreinte émotionnelle qu'elle avait laissée demeurait indélébile. Il lui arrivait parfois de ressentir de fortes sensations face à certains mots, certaines images, échos encore gravés dans son âme à travers les fissures de sa mémoire. Manjirō avait évoqué plusieurs morts, sa souffrance devait être insupportable... Cependant, une question cruciale tourmentait l'esprit de Shin'ichirō : comment pourrait-il l'aider à sauver cette Akina qu'il ne connaissait pas, si Manjirō ne se souvenait plus du futur d'où il venait ? Une semaine s'était déjà écoulée... Bientôt, tout disparaîtrait.
Shin' toucha son front en quête de symptômes : il n'avait plus de fièvre depuis hier, un soulagement momentané. Le grand brun touilla le bol de soupe préparé par Emma et pressa son épaule.
— Manjirō... Il faudrait que tu manges, mon grand.
Le petit garçon se tourna vers lui sans grande conviction, frottant ses yeux fatigués que de grands cernes venaient habiller. Puis, il se redressa sans un mot et attrapa le bol d'un air absent. Shin' s'appuya contre le dossier de sa chaise, observant les murs de la chambre.
— J'pourrais t'apprendre à conduire ma moto quand tu te sentiras mieux, proposa-t-il, cherchant à lancer un sujet léger de conversation. Qu'est-ce que tu en dis ? Une virée entre frangins.
Manjirō ne répondit pas tout de suite. Il avala la moitié de sa soupe avec peine, puis reposa le bol. Shin'ichirō sentit alors le poids du regard de son frère sur lui et tourna la tête, croisant ces yeux sérieux et bien trop adultes pour un enfant de neuf ans.
— Je sais déjà conduire.
— Ah... Mais tu vas peut-être oublier, tu sais.
— ... Pour l'instant, rien ne part de ma tête. J'ai tout qui se mélange.
Manjirō tira le tiroir de sa table de chevet et en extirpa un carnet sur lequel il avait noirci plusieurs pages. Shin'ichirō se pencha pour y jeter un coup d'œil.
— Ce sont tes futurs ?
— Akina était ma fiancée, annonça-t-il d'une voix morne. Je crois qu'elle s'est suicidée en premier.
La gorge de Manjirō forma une boule de peine. Ce dernier voyage était décidément bien difficile à encaisser...
Au-delà de son état physique, dans sa tête, les passés, le présent, les avenirs, tout se confondait. Chaque douleur au cœur s'accompagnait d'images vivaces dans les recoins de sa mémoire. Aucune réminiscence ne l'épargnait, rien ne lui échappait. Dans son inlassable houle, le Temps ramenait sur le rivage les fragments de ses souvenirs. Il aurait tant voulu faire disjoncter ce mécanisme où ses phases de bonheur s'entremêlaient au déchirement, mais ces rouages se cloîtraient dans l'inaccessible. Au sein de sa psyché, ses stigmates s'entrechoquaient jusqu'à parfois fusionner.
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Izanami
Fanfiction[TERMINÉE] « M'aimes-tu assez pour que je sois faible avec toi ? » À l'aube d'un conflit fratricide, le Toman doit répondre à un dilemme : s'allier avec le puissant gang d'Izanami ou risquer l'anéantissement. Derrière ce nom énigmatique se cache l'A...