Izanami

78 - Au gré de tes larmes

— Parc Sakuragaoka...

       Jade roula lentement le long de cette forêt verdoyante, où la végétation se pressait contre les limites du muret. À plusieurs endroits, le lierre débordait avec curiosité, comme une incitation à s'aventurer dans son inconnu. Chaque virage affolait son rythme cardiaque, jusqu'à ce qu'il ne rate un battement lorsqu'elle aperçut l'éclat rougeâtre d'un torii, portail discret annonçant l'entrée du parc et de son sanctuaire.

       La jeune femme se gara, puis ôta son casque d'où s'échappa une courte tresse noire, entremêlée de mèches rouges. L'objet de sa quête se tenait non loin : au-dessus des cimes, le sommet d'un édifice oublié, monstre lugubre tapi dans son terrier.

       Munie d'une lampe torche, Jade s'aventura parmi les décombres, un pas après l'autre sur les gravats, vestiges de ce passé étranger. Des réminiscences se manifestaient à mesure qu'elle s'engageait dans les étages, témoins invisibles de ses souvenirs oniriques. Une porte à double battant, un grincement, puis enfin, se dévoila sous ses yeux ce qu'elle cherchait depuis plusieurs années : la splendeur de cet horizon tant rêvé.

       L'arôme délicat des fleurs frappa tout de suite la jeune femme : le printemps déployait là toute sa majesté. Cette saison, autrefois si éprouvante, était aujourd'hui drapée d'un soupçon de réconfort ; fragrance d'espoir dans ce monde qui avait tant à leur offrir. Jade ferma les yeux et s'abandonna à une profonde inspiration. Un parfum d'azalées dans l'air.

       Après un bref moment de rêverie, elle s'approcha du rebord du toit. Elle s'accroupit et effleura la terre du bout des doigts à la recherche d'indices quelconques, puis elle se ravisa : personne ne fréquentait cet endroit. Le toit était en proie aux caprices de la nature et aux animaux curieux depuis longtemps. Un sanctuaire caché, préservé des regards indiscrets. Alors Jade s'assit, les pieds suspendus dans le vide, et elle contempla enfin ce paysage tranché de gratte-ciels, réplique exacte de ses songes, sans la présence qu'une part d'elle cherchait encore. Les murmures du vent caressant les hauteurs semblaient porter les échos de son absence. Elle avait mis du temps avant de dénicher cet édifice abandonné.

— Tu m'as donné du fil à retordre, Sano Manjirō.

       Peu après les révélations de Shin'ichirō, la plèbe tokyoïte avait été secouée par un événement inattendu : le démantèlement d'un gang jusqu'alors inconnu, le Tenjiku, orchestré par le Tokyo Manji, suivi de la dissolution abrupte de ce dernier. Par cet ultime coup de maître, son leader souhaitait clore le chapitre de son adolescence délinquante et s'était évaporé dans la nature, telle la brume sous les rayons du soleil. Jade n'en fut guère surprise : Shin'ichirō l'avait prévenue de ses intentions.

       D'un côté, la raison de Jade respectait cette décision, mais son cœur, lui, refusait d'abdiquer. Il réclamait une rencontre, même unique et éphémère. Elle ressentait le besoin profond de le remercier de vive voix pour ce qu'il avait enduré, et espérer retrouver la paix intérieure avec un adieu apaisé.

       Quelle âme ne désirerait pas retrouver cet inconnu qui l'avait sauvée ? Quelqu'un qui l'avait aimé, Elle, dans toutes ses facettes, dans chacune de leurs réalités ?

       Jade ravala ses larmes, rattrapée par le crépuscule occupé à tisser des éclats d'or et de rose. Désormais, l'odeur des feuilles et des fleurs décomposées lui prenaient la gorge, parfum mélancolique chatouillant ses prunelles, puis, une brume de solitude s'installa dans son regard. Elle qui pensait s'être fait à ce choix... Mettre enfin la main sur ce lieu, teinté de souvenirs inexistants, lui démontrait le contraire. Chaque coin résonnait d'un chant que le temps n'avait pas effacé.