3 | le livre sur la table de chevet

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Ophélie, avril

Le jour de mon mariage, ils étaient évidemment tous invités. Ève était arrivée la première, alors que je venais d'apprendre que la coiffeuse avait un empêchement, et s'était occupée de mes cheveux dans les toilettes de la salle de réception. Elle avait essuyé mes larmes, calmé ma peur, magnifique dans sa robe bleue. Elle avait même pris la peine de mettre du rouge à lèvres, elle qui détestait ça.

Cara était arrivée ensuite, en rouge et avec des talons hauts, puis Léandre et Milo, en costume. Cara s'était occupée de servir les flûtes de champagne, et le moment venu, Léandre m'avait conduite jusqu'à l'autel. Florence était splendide dans sa robe blanche.

Tout le monde dit que le mariage est le plus beau jour d'une vie. Mais voir Ève si hésitante, voir Léandre qui fuyait Cara et Cara qui cherchait Léandre, voir les larmes sur les joues de Milo, ça m'avait fait réaliser qu'une journée n'est jamais parfaite. On fait juste de son mieux, à chaque fois.

Peut-être que c'est parce que je ne l'avais pas réalisé avant, qu'on a tout gâché.

Cara, avril

"Si, regarde, c'est ta technique qui ne convient pas. Ça nous empêche d'être synchrones. Il suffit de... Enrique, tu m'écoutes, au moins ?"

Le danseur acquiesça, les yeux rivés sur la neige au dehors. Cara leva les yeux au ciel. C'était exactement pour cette raison qu'elle détestait danser avec Enrique - parce qu'il ne l'écoutait pas, parce qu'ils n'entraient pas dans un monde rien qu'à eux quand ils dansaient, parce qu'il n'était pas Léandre. Autrefois, au lycée, tout le monde croyait qu'ils étaient en couple, Léandre et elle. Ce n'était pas le cas. Ils étaient simplement capables de ne former qu'un seul être lorsqu'ils dansaient.

Elle remplaça ses chaussons de danse par des bottines, s'empara de ses affaires et claqua la porte de la salle de répétition. Dehors, la neige esquissait un paysage idyllique, mais Cara n'avait pas envie de rêvasser. Elle avait envie de se sentir libre. Elle avait envie de danser. 

Alors elle courut jusqu'à l'hôtel où séjournait la troupe et s'enferma dans sa chambre. Là, elle remit ses chaussons et, en legging et débardeur, elle lança sur sa petite enceinte un enregistrement de piano, qu'elle avait fait à l'insu d'Ophélie quelques années auparavant. Elle laissa la musique la porter et dansa, parce que c'était la seule chose qui la faisait se sentir vraiment vivante. 

Elle était dans un pays inconnu, où il faisait froid et où personne ne parlait sa langue, coincée avec un partenaire qu'elle détestait, mais au moins, elle pouvait danser.

Elle sentit les larmes couler sur ses joues au fur et à mesure de la musique, mais elle les ignora. Elle pleurait beaucoup ces derniers temps. Elle ne savait plus vraiment pourquoi.

Quand la musique s'acheva, elle se posta face au miroir et travailla ses figures. Le reflet lui renvoyait l'image d'une femme au chignon blond, au corps mince - peut-être trop. Elle s'en inquiétait un peu, mais elle savait qu'elle faisait de son mieux. Certains soirs, quand les responsabilités étaient trop lourdes à porter, elle était incapable de manger. Elle se rattrapait le lendemain. Ça devait signifier que tout allait bien. 

Le reflet la dérangeait, alors Cara remit la musique, un peu plus fort cette fois, et recommença à improviser en rythme. Elle faillit hurler de frustration quand on frappa à la porte. Ce fut bon gré, mal gré qu'elle alla ouvrir et afficha un sourire poli et distant. Le directeur de la troupe lui jeta un regard éloquent.

C'est avec Ève que tout a commencéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant