39 | bercés par le vent

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Léandre, décembre

Des semaines entières de tournée se profilaient. Grâce à ses contacts et à sa promotion passionnée, Léandre avait réussi à leur obtenir des salles dans toutes les plus grandes villes du pays, pour plusieurs représentations, et alors que Cara préparait ses valises à la dernière minute par habitude, que Milo et Ophélie ne pouvaient pas tenir en place, Léandre était sur les nerfs. Il ignorait pourquoi, mais il était épuisé mentalement, et il n'aspirait qu'à un peu de solitude pour respirer. Vivre ensemble durant des semaines devait s'être avéré plus difficile que prévu, malgré tout l'amour qu'il portait à ses amis. Il voulait rester avec eux, sentir les mains de Cara sur sa peau et écouter leurs anecdotes perchées en fin de soirée, mais il avait besoin de quelques moments de solitude, et il ignorait si la tournée lui permettrait d'en avoir. Alors, à fleur de peau, ou plutôt anxieux, il tournait en rond dans l'appartement, se promettant qu'il se rendrait sur les quais de Seine la nuit tombée.

Et puis il y avait Ève, qui semblait aussi perdue que lui, probablement parce que sa falaise, qu'elle n'avait pas revue depuis des mois, lui manquait. Il la voyait se tordre les mains, trébucher sur le seuil des portes, peiner à se repérer dans l'appartement, comme un lion en cage, comme un oiseau privé de ses ailes. Le théâtre lui avait fait du bien, mais il restait dans ses yeux cette hésitation, ce sentiment de ne pas être à sa place. 

Et puis, un soir après la quatrième représentation à Paris, quelques jours avant leur départ, alors qu'il ne pouvait pas dormir, il trouva Ève recroquevillée sur le sofa, la tête entre les mains, les yeux fermés avec force pour contenir ses larmes. Il s'assit à ses côtés, parce qu'il savait, et quand elle eut arrêté de pleurer, il lui proposa de partir un peu avant les autres, de faire un détour pour respirer un peu. Il la vit hésiter, demander à demi-mot où il comptait l'emmener. Mais il se contenta de lancer, tout bas, comme un secret, est-ce que tu me fais confiance ? Et, puisqu'elle avait dit oui, ils partirent le lendemain, après avoir prévenu les autres. Léandre craignait que Cara lui pose des questions, mais elle savait qu'il avait besoin de liberté, comme eux tous, alors elle sourit et ne dit rien. Il lui en fut mille fois reconnaissant. 

Dans le métro, Ève avait tressé ses cheveux en vitesse, et les mèches qui voltigeaient autour de son visage au rythme des bouches d'aération la rendaient splendide, trop légère pour Paris et sa vie qui ne s'arrêtait jamais. Elle, comme Léandre, avait besoin de moments de pause, où seuls le silence et l'odeur de la mer lui parlaient à l'oreille. Et, quand il était à l'école de danse avec Cara ou à l'université après l'accident, quand ça n'allait pas trop et qu'il était fatigué de faire illusion, il prenait le train et se rendait au bord de l'océan. 

Dans le train, ils relirent chacun leurs répliques, comme s'ils ne les connaissaient pas déjà par cœur. Puis ils descendirent quelques heures plus tard, prirent un bus, un autre, et se retrouvèrent sur une falaise. Sans un mot, Ève saisit le bras de Léandre pour plus de sécurité et marcha jusqu'au bord de la falaise, ses pieds nus presque dans le vide. 

"Tu es sûre ? Si tu tombes, je ne pourrai pas te rattraper, et-

- Tout va bien, Léandre, répondit-elle avec un sourire. Je peux respirer maintenant."

Alors ils restèrent là, face à l'océan déchaîné, bercés par le vent puissant, ancrés dans la terre de laquelle ils étaient nés. Dans leur cœur, la flamme semblait se raviver, luttant contre le froid hivernal, qui dessinait de la buée lorsqu'ils respiraient.

"Merci, Léandre, lança Ève."

Il haussa les épaules.

"J'en avais besoin aussi. Paris commençait à m'étouffer. Je craignais toujours de croiser mes anciens élèves dans la rue. 

C'est avec Ève que tout a commencéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant