33 | résilience

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Milo, août 

Ils ont roulé pendant des heures, se relayant pour permettre aux autres de se reposer. A l'arrière de la voiture, la tête posée contre l'épaule d'Ophélie, la main serrant celle de Léandre, Ève a dormi, épuisée par la nuit blanche qu'elle a passé à écrire. Ils ont quitté les montagnes pour se diriger vers les forêts dont Ève ne cessait de parler fut un temps - elle les a visitées, en est revenue, et s'est mise à répéter mille et mille fois qu'elle désirait y retourner, que là-bas elle s'était sentie vivante. Parce qu'il la connaissait bien, Milo savait qu'elle avait probablement grimpé aux arbres, dévalé les pentes et éraflé ses paumes sur l'écorce, et qu'elle avait ri sur l'ensemble du chemin.

Alors ils y vont, ils garent la voiture à l'entrée de la forêt, et empruntent le chemin principal. Ève refuse de s'appuyer sur le bras de quelqu'un, parce qu'elle veut pouvoir quitter le sentier, quitte à se tordre les chevilles. Il s'inquiète pour elle, mais il la comprend. 

Et puis il y a Léandre, qui semble si sombre depuis quelques temps, et qui a disparu pendant une partie de la matinée de la veille, pour revenir plus apaisé. Il y a Cara, qui semble pensive, préoccupée, et qui a pris ses chaussons de danse dans son sac à main, en cas de besoin. Il y a Ophélie, qui semble si légère depuis qu'elle leur a avoué la vérité. Mais ce n'est que suppositions, hypothèses, conjectures, apparences, et Milo ne sait rien, absolument rien, de ce qui se trame en réalité, parce qu'une fois de plus, ils oublient de se parler. 

Alors, dès qu'Ève demande à faire une pause, quand Cara se met à danser, Ophélie à griffonner sur du papier à partition, et Léandre à s'assoupir, épuisé, Milo s'assied avec Ève contre le tronc d'un arbre, cherche doucement sa main sur l'herbe, la saisit et la laisse la serrer. Ils ne se parlent pas souvent, il le sait bien, mais c'est toujours elle qui le comprend le mieux. C'est elle qui a su la première qu'il allait mal. C'est elle qui doit, la première, connaître la suite. 

"Je vais reprendre mon rôle dans l'association, souffle-t-il à voix basse, pour que seule Ève l'entende. Il y a quelques manifestations en septembre, octobre, et j'ai déjà préparé un discours. J'y vais doucement, bien entendu, mais j'y vais. C'est important pour moi. Et en ce qui concerne le théâtre, la pièce qu'on a prévue de jouer avec Nicolas me permettra de reprendre le fil des choses. Ce n'était qu'une parenthèse. Il est temps que la vraie vie reprenne."

Elle sourit doucement, le regarde dans les yeux, fuit son regard, appuie l'arrière de son crâne contre le tronc de l'arbre, et murmure :

"Pourquoi ça ne peut pas être ça, la vraie vie ?"

Ça quoi ? Mais il sait déjà. Ça - les amis, le temps passé à prendre soin de soi, l'art, la tendresse, le voyage, l'air frais sur la peau, et aucun problème qui nécessite une association et une vie entière pour être réglé, aucune souffrance à surmonter, rien d'autre que le calme, le silence.

Et, parce qu'il n'a rien à répondre à ça, il change de sujet.

"J'ai vu que tu avais commencé à écrire la pièce qu'on jouera ensemble. À quoi ça ressemble ?"

Elle garde le silence un moment, et puis elle aussi change de sujet.

"Est-ce qu'Andreas et toi, ça fonctionnera si tu retournes chez toi ? Tes parents vont rentrer, et tu voudras repartir, toi aussi."

À la vérité, ils n'en ont pas parlé, mais Milo sait déjà qu'il serait prêt à rester s'il le fallait, parce qu'avec Andreas il se sent bien. Ils en discuteront plus tard. Ils formuleront chacun leurs désirs, leurs préoccupations, leurs options, et ils se mettront d'accord. Ils trouveront un compromis. Comme Milo et sa peur. Comme Ève et sa douleur. 

C'est avec Ève que tout a commencéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant