22 | la vérité

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Milo, août

Au moment où je croyais que c'en était fini de la souffrance, quand je parvenais enfin à monter sur scène et à regarder Ophélie dans les yeux, Ève a déclaré que le poids de la vérité était trop lourd à porter pour une seule personne. La pire conversation de notre vie nous attendait, et il n'y aurait pas de retour en arrière possible. Je savais que ça arriverait, il le fallait et je le voulais. Mais je ne pensais pas que ça ferait si mal de réaliser à quel point elle avait souffert.

C'était notre faute, et ça le sera toujours.

Ophélie, août

Ils n'étaient absolument pas prêts. Depuis la file d'attente à l'entrée du festival, Ophélie pouvait déjà distinguer des bribes de pièces de théâtre, des morceaux de chansons et des extraits de discours, et ce qu'elle entendait lui donnait la terrible impression qu'ils étaient médiocres face à un tel talent. Milo avait passé la soirée de la veille, lorsqu'elle ne pouvait pas dormir à cause du stress, à lui répéter que c'était le plus grand festival de la région, que tous les arts s'y rencontraient et qu'il avait toujours adoré s'y rendre. Ca ne l'avait pas rassurée. Au contraire.

À ses côtés, Milo et Cara portaient leur matériel - décors, costumes, chaussons de danse, partitions et autres indispensables. Léandre avait hérité de la partie administrative, brandissant leurs bracelets rouges d'artistes et s'occupant des horaires à respecter. Quant à Ève, elle relisait son texte – l'épilogue, qu'on lui avait attribué sans aucune hésitation –, qu'elle n'avait pas eu le temps d'apprendre par coeur, alitée par la douleur après son excursion en forêt. Quelques jours s'étaient écoulés, et Ève avait affirmé la veille qu'elle serait en état de jouer. Mais, appuyée sur le bras d'Ophélie, elle était pâle et semblait souffrir. Ophélie doutait de sa capacité à tenir debout tout le long de la pièce, mais ils avaient prévu une chaise au cas où - Eve pourrait déclamer assise, et ils s'en sortiraient. Elle essayait d'être optimiste. C'était plus dur que prévu.

"On joue dans deux heures, déclara Léandre. Vous voulez aller regarder un spectacle en attendant ?

- Ça risque de nous faire douter de nous, tenta Ophélie."

Cara acquiesça, tandis que Milo dévisageait Ève, qui afficha un sourire contrit :

"Je vais avoir besoin de café, si vous voulez que je tienne deux heures."

Ils allèrent donc s'asseoir à la table d'un salon de thé ambulant, où Ève sirota son café en regardant la programmation avec Cara. 

"Il y a un spectacle de danse contemporaine bientôt, suggéra Cara."

Léandre s'empressa d'acquiescer, et ils s'y rendirent sans plus de discussion. Le moment de se produire sur scène approchait lentement, et Ophélie, incapable de se concentrer sur la chorégraphie devant ses yeux, sentait la pression monter en elle, enserrant sa gorge et remuant tout dans son ventre. La dernière fois qu'ils avaient joué ensemble était si belle qu'elle avait peur de tout gâcher désormais. Mais il était probablement déjà trop tard pour reculer. 

Ils accédèrent aux coulisses, où ils commencèrent à se préparer, enfilant les costumes, échauffant les muscles et la voix. Ophélie ne pouvait s'empêcher de penser à Florence, à son regard après qu'elle l'ait vue sur scène pour la première fois, à son pouls sous ses doigts et ses lèvres sur sa peau, à tout ce qu'elles avaient vécu et tout ce qu'elles ne vivraient pas. C'était sur scène qu'elles s'étaient aimées, et c'était sur scène qu'Ophélie s'apprêtait à remonter. Elle devait se l'avouer, elle était terrifiée. En croisant le regard de Milo, elle vit qu'elle n'était pas la seule.

C'est avec Ève que tout a commencéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant