41 | un imbécile, un idiot de première

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Ophélie, février

Le final de la tournée avait été mémorable. Il avait eu lieu à Paris, comme la première représentation, et ils avaient été acclamés par le public comme par la critique. Léandre avait dansé un peu plus longtemps, Andreas avait joué avec un peu plus de force, Milo avait déclamé sa tirade en montant sur les tables comme au lycée, Cara avait mis plus de détermination dans ses gestes habituellement gracieux, Ophélie avait prolongé la musique un peu plus longtemps qu'à l'accoutumée, et Ève, debout sur la scène, avait donné tout ce qu'il lui restait d'énergie. Puis, dès que les applaudissements eurent cessé, dès que le rideau fût baissé, elle s'éclipsa par l'entrée des artistes, malgré la pluie qui tombait dehors comme un orage au beau milieu de l'été.

Ophélie s'empressa de saisir son manteau et celui d'Ève et de la rejoindre dehors. Elle déploya le parapluie au-dessus d'elle, mais les cheveux déjà détrempés de son amie collaient à sa peau, et elle savait que sous sa robe, sa peau était probablement mouillée elle aussi. Pourtant, Ève ne rentra pas à l'intérieur, et Ophélie ne le lui proposa pas. Elle avait besoin de prendre l'air. De respirer. Malgré le froid, malgré la pluie, c'était toujours l'air frais qui l'aidait à reprendre son souffle.

Alors Ophélie resta là, tenant le parapluie au-dessus d'Ève, et lorsque son amie la regarda enfin, elle l'enlaça. Après un moment, elle cria par-dessus le tapage de la pluie :

"On pensait aller fêter notre succès au Queen's Rhapsody. Tu veux venir après t'être changée ?"

Ève secoua doucement la tête.

"J'ai besoin de respirer un peu, je crois, répondit-elle.

- Alors je t'accompagne.

- Non. Le Queen's Rhapsody, c'est ton endroit. Si tu as envie d'y aller, vas-y.

- Crois-moi, j'ai beaucoup plus envie de t'aider que de boire un verre."

Elles retournèrent dans les coulisses, où Ophélie laissa Cara aider Ève à se changer. Milo, Léandre, Andreas et Jonas parlèrent d'annuler la soirée, mais Ève ne cessa d'arguer qu'elle voulait être seule, alors ils laissèrent couler. Pourtant, au fond d'elle, Ophélie avait l'impression de faire la même erreur qu'autrefois. Mais si Ève voulait être seule, qui était-elle pour lui forcer la main ?

Alors ils laissèrent Ève rentrer, et marchèrent jusqu'au Queen's Rhapsody, où Sophie, la gérante, leur offrit une tournée. Ophélie laissa Léandre se blottir contre elle, tandis que Cara et Milo éclataient de rire au karaoké, et qu'Andreas et Jonas semblaient s'entendre comme larrons en foire en jetant des fléchettes sur une cible. Léandre soupira, et son souffle chaud rebondit contre l'épaule d'Ophélie. Elle frissonna. C'était l'une de ces nuits où il fait froid, même quand on est heureux et que le coeur bat la chamade.

"Tu crois qu'on aurait dû l'accompagner ? murmura Léandre. Je me sens mal de la savoir seule.

- Envoie-lui un message. Au moins, tu sauras si elle va bien."

Mais ce qu'elle voulait dire, vraiment, c'était moi aussi, Léandre, moi aussi. Il est des choses qui ne se disent pas, cependant. Elle releva la tête vers ses amis, qui riaient, s'amusaient, oubliaient, faisaient comme si, comme s'ils ne savaient pas qu'Ève allait probablement mal, qu'elle voulait simplement le leur cacher, qu'elle demandait à être seule non par envie, mais parce qu'elle avait peur, parce qu'elle avait honte. C'était déplacé, ces éclats de rire, ces fléchettes en plein dans le mile, les verres alignés sur la table, et sa propre gêne. Soudain, ce qui s'était cassé se recolla. Ça n'avait pas de sens. Ce qui en avait, c'était de suivre son instinct.

C'est avec Ève que tout a commencéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant