13 | au bout de la rue

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Cara, septembre

Je n'oublierai jamais la pluie ce jour-là, les éclats de rire qu'on a partagés au soir, la sieste de Léandre sur cette souche d'arbre, la mine déconfite de Milo et le thé préparé par Ophélie, qui portait sa marque de fabrique - de la cannelle ou du miel, peut-être les deux. C'est lors de cette randonnée désastreuse que, pour la première fois depuis si longtemps, j'ai cru qu'on pourrait à nouveau s'aimer comme avant.

Léandre, juillet

Ophélie ne dormit pas chez Milo cette nuit-là. Elle avait prétendu avoir besoin d'une soirée avec des inconnus, et Léandre avait compris qu'elle peinait à supporter tous les non-dits qui pesaient sur leur groupe. Ophélie avait toujours été du genre de ceux qui ne font jamais le premier pas - sur ce point-là, ils se ressemblaient comme deux gouttes d'eau, tandis que Cara osait tout et que Milo ne cessait jamais d'essayer. Alors quand Ophélie avait décidé de s'évader pour une nuit, personne n'avait jugé avoir le droit de la retenir.

Mais si Ève, puis Ophélie ne supportaient plus la tension, il devenait urgent de faire quelque chose pour sauver leur amitié.

Préoccupé par ces réflexions, Léandre était sorti tôt dans la matinée pour déambuler dans les rues de la ville. Il ne savait pas trop où il allait, mais marcher lui permettait de réfléchir, d'avoir les pensées plus claires pour savoir ce qu'il comptait faire. Il regarda les devantures des boutiques, la mer en contrebas, les quelques coureurs matinaux, ses pieds qui foulaient lentement les pavés des ruelles. Puis, tout en continuant à marcher, il sortit son téléphone de sa poche et appela Ève. Elle répondit à la première sonnerie.

"Léandre ? Tout va bien ?"

Il la rassura, avant de prendre des nouvelles. Elle répondit à ses questions banales par des réponses distantes, comme entre deux vieilles connaissances qui ne se sont pas parlé depuis longtemps. C'était précisément ce qu'ils s'efforçaient de ne pas être. Alors Léandre finit par couper court aux politesses pour aller droit au but :

"Le groupe ne va pas bien, tu sais."

Oui, bien sûr qu'elle sait. Ève est la seule qui se soit toujours efforcée d'être là pour chacun d'entre nous.

"On a tous besoin d'aide, mais personne n'est prêt à l'admettre le premier. Milo va mal et ne l'a pas encore accepté. Cara essaie de s'en sortir, mais elle tourne en rond. Cette nuit, Ophélie n'a pas dormi ici. Je sens la tension monter, Ève, et il est temps que quelqu'un la libère - sinon, ça finira par exploser."

Il inspira profondément, tout en détaillant la vitrine d'une librairie. Ève avait toujours aimé ce genre d'endroits un peu vieillots, imprégnés de l'odeur du papier et de plusieurs siècles de littérature. Si elle les avait rejoints, elle aurait trouvé cet endroit dès le premier jour.

"Je crois qu'il faut que ce soit moi. Et j'aimerais beaucoup que tu sois là."

A l'autre bout du fil, Ève ne répondit rien pendant une longue minute. Puis elle lança, la voix hésitante :

"Je ne veux pas être présente pour entendre ça.

- Je sais, souffla doucement Léandre. Mais c'est probablement la dernière fois qu'on essaie de se retrouver. Tu finiras par t'en vouloir si tu ne viens pas."

Ève resta mutique. C'était ce qu'elle faisait quand elle n'avait rien à dire, parce qu'elle savait qu'il avait raison.

"Si tu ne le fais pas pour nous, fais-le pour toi, au moins. Tu sais que tu ne pourras pas fuir toute ta vie. Ça te ferait du bien de ne plus avoir à porter seule le poids de ce qu'il s'est passé."

C'est avec Ève que tout a commencéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant