18 | le vent qui se lève

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Ève, août

comme l'orage

le vent qui se lève a tout emporté

les certitudes, l'espoir, la force

et la possibilité de renoncer

- j'étais là et

je comptais bien rester

me battre

jusqu'à la fin

parce que Léandre essayait

parce que Cara me parlait

parce qu'Ophélie avait fait de son mieux

parce que Milo avait besoin de nous

et parce qu'un jour, à vingt-quatre ans

l'appel de groupe prévu par Milo

avait tourné cours

- ce silence

avait tonné plus fort qu'un orage.

Cara, août

"Un peu plus d'émotion, Milo ! C'est toi le comédien, non ? On dirait que tu t'en fiches !"

Milo se contenta de hausser les épaules face à la critique d'Ophélie. Ils avaient tous perçu la différence quand il était revenu de chez Andreas, la veille ; il ne prenait plus la peine de les regarder dans les yeux, comme si ces retrouvailles importaient peu désormais. Alors, quand Ophélie accusa Milo de ne pas faire d'efforts, Cara ne la contredit pas, et personne d'autre non plus. Milo sembla pâlir, et déclama son texte avec plus de vigueur. Mais c'était toujours loin de la puissance qu'avaient ses mots au lycée. 

Ève avait retravaillé la pièce choisie, qu'elle avait écrite quand ils avaient dix-huit ans, et Léandre avait obtenu deux heures de scène en pleine journée pendant le festival. Il y aurait moins de monde que la nuit, mais ce qui comptait aux yeux de Cara, c'était qu'ils jouent ensemble, pas qu'on les voie. Elle savait qu'Ophélie et Léandre étaient d'accord avec elles. Milo semblait avoir lâché l'affaire. Quant à Ève, elle était incapable de déterminer ce qu'elle en pensait.

Assise sur une chaise, faisant tournoyer son stylo entre ses doigts, elle observait ses amis un à un, comme si elle savait. C'était toujours elle qui avait su, après tout. Poussée par la curiosité, Cara se rapprocha d'elle, s'asseyant sur la chaise voisine, et tandis que Milo et Ophélie répétaient, elle murmura : 

"À quoi tu penses ?"

Ève sourit distraitement. 

"À pas grand-chose."

Mais quand elle se tourna vers Cara pour la regarder, son regard se posa un peu trop longtemps sur sa clavicule saillante. Ève savait, depuis le début, et si Cara lui faisait confiance pour garder son secret, il lui semblait qu'Ève n'en pouvait plus de le porter. Comme s'il n'y avait pas que ce secret-là qui lui pesait. 

"J'ai l'impression que c'est foutu d'avance, chuchota Cara. Je ne sais pas ce qui a changé, mais Milo va nous lâcher, c'est sûr. Léandre ne peut plus danser, et même s'il a un rôle dans la pièce, ça ne sera jamais pareil qu'autrefois. Et toi, Ève ? Tu es certaine de ne pas vouloir jouer avec nous ?"

Elle haussa les épaules.

"Pour quoi faire ? J'ai écrit la pièce, et je n'ai jamais été très bonne comédienne. Il vaut mieux que je reste en coulisses."

C'est avec Ève que tout a commencéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant