Le Commencement d'un Rêve 4/6

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Les yeux égarés au-delà de ses persiennes, Icencia attendait que sa fille se réveille

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Les yeux égarés au-delà de ses persiennes, Icencia attendait que sa fille se réveille. L'aurore sur la rue scintillait dans son regard, c'était une douce et calme matinée. Il en était ainsi lorsque Milléïs dormait. Elle préférait cependant sa maison habillée de rires et de petits pas de course. Récemment, elle avait failli ne plus jamais les entendre.

Lentement, Icencia se dirigea vers son vaisselier et en sortit deux tasses de porcelaine ébréchées. Elle les déposa sur la vieille table pour le petit-déjeuner, puis rehaussa son visage sur la paroi d'en face où reposait une magnifique épée accrochée sur un socle. Fantôme d'un passé victorieux, elle semblait garder le logis sous son aura de protection. Cette vue ramena Icencia aux méandres de son jeune temps.

Son apprentissage de Défenseure, les vies sauvées coude à coude avec son ancien partenaire... c'était le bon temps, songea-t-elle. Nostalgique, elle saisit la longue lame et la délogea de son piédestal. Ses doigts glissèrent, tout comme ses souvenirs sur le fer tranchant, détaillant une à une les éraflures d'autrefois. C'était un objet auquel elle tenait énormément, mais il était très abîmé par les années et l'abrasion due à ses batailles.

Un instant, Icencia réfléchit. Quelques jours auparavant, le lendemain du sauvetage de Milléïs, celle-ci lui avait confié que les parents du petit Draval étaient forgerons ; ce serait un bon moyen de réparer sa fidèle camarade d'antan.

— Bonjour, maman...

Sortant de ses pensées, la mère de famille se tourna vers l'escalier où une Milléïs encore somnolente se tenait.

— Bonjour, canari. Viens prendre ton petit-déjeuner, nous allons rendre visite à ton ami Draval tout à l'heure.

À ces mots, le regard de la fillette s'illumina.

Son lait avalé et sa robe mise, Milléïs attendit sagement dans l'entrée. Icencia agrippa une nappe en tissu et enroula l'épée avec. Elle la porta ensuite sous son bras et rejoignit sa fille. La forge se situait sur l'avenue commerciale de la Vallée d'Étain, juste derrière leur maison. Elles n'avaient qu'une allée étroite et quatre pâtés d'immeubles à traverser pour s'y rendre.

Un voile de cendre brouillait le verre de la vitrine. La lumière semblait néanmoins y passer, mais pas les silhouettes. Une épaisse brume s'échappait du conduit de cheminée placé sur la cloison extérieure. La porte de bois disposait d'une pancarte ballante en hauteur, sur l'encadrement.

On pouvait y lire : « Whiteley : forgeron et maréchal ferrant de père en fils. »

La clochette tinta à leur entrée. Immédiatement, un robuste parfum, mélange de chaud et de fer, les assaillit. Ce n'était pas plaisant, mais restait une senteur typique de ce genre d'échoppe. L'ambiance était tamisée, avec un comptoir modeste prenant place. Une alcôve sans porte s'ouvrait sur la droite, tandis qu'un escalier s'élevait à l'étage, sur la gauche.

Un bruit cadencé parvenait jusqu'à leurs oreilles ; le rythme d'un marteau de forge s'abattant sur une plaque d'acier.

— Bonjour. Il y a quelqu'un ?

Icencia ne reçut aucune réponse. Elle s'apprêtait à rebrousser chemin lorsqu'une voix l'arrêta dans son départ :

— Oui, je suis là, b-bonjour ! Excusez-moi, je suis navrée. J'étais en haut, je ne vous ai pas entendue tout de suite.

Elles furent alors surprises par une dame rondelette. Celle-ci dévala les marches d'escaliers en époussetant son tablier blanc rigoureusement amidonné. Ses cheveux étaient maintenus en un chignon négligé et son visage doré, aux pommettes rebondies et parsemé de taches de rousseur, étaient les reflets d'une douceur innée.

— Je suis désolée, s'excusa-t-elle une énième fois.

— Milléïs !

Le petit Draval surgit tel un éclair, s'insinuant dans le dos de sa mère pour enrouler ses bras minuscules autour de la fillette. Son arcade sourcilière blessée était soigneusement protégée par un pansement. Icencia fut touchée par l'éclat de joie qui irradiait de ces enfants lorsqu'ils étaient ensemble.

— Maman, on peut aller en haut ?

— Évidemment, mon chéri, mais soyez sages.

Tout content, Draval entraîna Milléïs avec enthousiasme à l'étage pour lui montrer sa chambre et ses jouets. Ils laissèrent ainsi les deux femmes en tête-à-tête.

La dame replète émit alors un rire doux.

— Eh bien... Quelle énergie ! Je ne suis pas habituée à voir mon fils ainsi. Bref, en quoi puis-je vous aider ?

— Oh, je suis venue ici pour que Milléïs voit votre fils. Elle ne me parle que de lui, ces derniers temps. J'espère que ça ne vous dérange pas.

— Non, ne vous inquiétez pas. Je comprends, Draval en fait de même. Il n'a que « Milléïs » à la bouche depuis... ce terrible épisode de l'enlèvement. Une expérience partagée fait naître l'amitié, gloussa-t-elle, espérant masquer l'amertume qui la rongeait à la mention du drame. C'est très gentil d'être passée, en tout cas.

— C'est tout naturel. Je voulais savoir, par la même occasion, si vous pouviez réparer la lame de mon épée.

Icencia présenta le paquet qu'elle tenait sous son bras.

— Oui, bien entendu, vérifions cela.

L'accueillante femme passa derrière le comptoir solidement bâti. Elle récita alors, d'un ton professoral acquis par les années, durant sa marche :

— Nos armes sont fabriquées et restaurées selon une technique ancestrale transmise de père en fils. Le fait de battre l'acier une première fois, puis de le battre à nouveau à froid confère à la lame une solidité et une robustesse à toute épreuve. Croyez-en l'expérience de la famille Whiteley.

Icencia déposa son arme et retira le tissu qui la dissimulait. Son hôtesse observa l'objet avec admiration.

— Oh, voilà une épée des plus surprenantes. Mais c'est... un modèle que les Défenseurs utilisaient, n'est-ce pas ?

— Oui, en effet.

— Vous êtes Défenseure ?

— Je l'étais. J'ai arrêté mon service, il y a quelques années.

— Je comprends alors pourquoi vous avez encore l'ancien modèle. Depuis qu'ils ont inventé les épées au Solarium, celles en fer n'ont plus autant de succès. Je ne vais pas vous mentir, nous sommes en pleine chute et... mon mari, le forgeron, ne le supporte guère.

Icencia perçut dans sa voix comme un soupçon de tristesse. Il était vrai que les épées normales avaient été bannies de l'artillerie des Défenseurs depuis la création des Solarépées. D'après les journaux, elles étaient ridiculement faibles à côté du chef-d'œuvre de l'empire Lockspear qui avait pris ses aises dans la société.

— Le commerce est très dur, ces derniers temps. Nous peinons même à nous nourrir. C'est injuste... confessa la mère de Draval, avant de revenir à la réalité. Enfin, cela ne vous intéresse probablement pas.

— Non, je vois parfaitement. Je suis navrée pour vous. J'ai également du mal à joindre les deux bouts depuis mon départ des Défenseurs.

— Nous nous comprenons alors.

Icencia laissa doucement fleurir un sourire sur ses lèvres, geste qui trouva un écho chez la femme derrière le comptoir. Lentement, l'ancienne Défenseure tendit une main amicale vers son interlocutrice.

— Je m'appelle Icencia Gazergray. Et vous ?

Leurs regards se croisèrent, transmettant un message significative et silencieux. La femme du forgeron emboîta alors sa main dans celle qui lui était offerte.

— Joya Whiteley, enchantée.

𝐌𝐈𝐋𝐋𝐄𝐈𝐒 𝐆𝐀𝐙𝐄𝐑𝐆𝐑𝐀𝐘, T1 : La Voie des DéfenseursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant