L'Art Pédagogique 3/6

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Derrière la porte des catacombes, un escalier descendait dans les entrailles de la terre

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Derrière la porte des catacombes, un escalier descendait dans les entrailles de la terre. Silver aperçut une silhouette disparaître tout en bas. En laissant Laliza et ses supplications sur la touche, il talonna l'intrus et lui cria :

— Hey ! Arrêtez-vous !

Déterminé, Silver s'arma de son Magnergie et tira une première munition lumineuse qui se logea dans le mur, à un cheveu de sa cible. La détonation produisit une étoile noire sur la paroi qui n'impressionna guère le fuyard. Il continua son chemin, allant d'une démarche quelque peu bancale. Le Défenseur jura tout haut et détala à sa poursuite. La pénombre du tunnel devenait moins prononcée au cours de l'ascension. Des lanternes éclairaient faiblement la marche dans ce labyrinthe de pierres.

L'arme au poing, Silver courait tant bien que mal, se guidant au bruit des enjambées de l'espion. En était-ce réellement un, au moins ? Il semblait connaître le chemin comme personne, difficile pour quelqu'un de lambda de s'y retrouver dans les veines sans fin des sous-sols. Qui était-il, alors ? En saisissant sa radio, Silver darda une seconde balle de lumière. Mais celle-ci manqua encore une fois sa trajectoire initiale.

— Il se dirige vers la chambre condamnée ! Je le prends en chasse, déclara-t-il dans l'objet de communication.

À peine avait-il raccroché que sa radio émit une onde nouvelle qui céda rapidement sa place à la voix paniquée de Laliza. Quand un troisième tir s'engouffra dans le boyau, Silver décrocha enfin à sa coéquipière.

— Laliza, je poursuis l'intrus, je vais bien.

— Silver, que la Trinité soit louée ! Tu es malade, bon sang ? C'est de la folie ! S'aventurer seul dans les labyrinthes des catacombes avec un Contestataire, c'est du suicide !

— C'est un Contestataire ?

— Sans doute ! Les deux autres l'étaient, ils ont pris la fuite. Silver, tu as plutôt intérêt à faire très attention à tes fesses, sinon c'est moi qui vais te régler ton compte...  lui dit-elle, d'une voix ferme, mais pleine d'anxiété.

— Ne t'en fais pas, Boutefeu, je ne veux pas manquer notre dîner chez Nogard. Tout ira bien. Toi, occupe-toi de contacter le Défensariat.

Laliza se tut. Elle avait confiance en les capacités de Silver, mais elle reconnaissait ce ton ombrageux qu'il employait pour la rassurer quand il doutait de lui-même. Angoissée, elle promit à Silver d'honorer son rôle. Il rangea sa radio et redoubla de vitesse. Sa course à corps perdu l'emmena finalement dans l'antichambre destinée à la Guivre Mécanique ; une gigantesque pièce circulaire coupée de moitié par un grillage épais.

Plongée dans un sommeil mortuaire, son corps de serpent était recouvert d'une pellicule de poussière due aux années qui s'étaient égrenées, flouant son métal acéré aux atouts autrefois étincelants. En s'y approchant, on pouvait encore sentir l'odeur de brûlé provenant de la grenade mortelle qui émanait de sa grande gueule béante. Même éteints de toute lueur, ses yeux rubis scintillaient encore d'une vie déchue.

Pantelant, Silver s'immobilisa, son arme hybride braquée au fond de la pièce. Dans un ordre incontestable, il rugit :

— On ne bouge plus ! Vous êtes coincé ! Rendez-vous sur-le-champ !

Près du portail scellé, dos au Défenseur, l'homme à la longue veste garda le silence. Ses orbes d'un noir abyssal fixaient cette majesté draconique avec admiration. Il était si près du but. Tellement, qu'il n'avait qu'à tendre la main pour toucher l'imposant cadenas qui clôturait le passage.

— Pas un geste ! Ne m'obligez pas à tirer !

— Même sans faire un geste... Je pourrais éviter la balle que vous me réservez, Défenseur.

Suite à ces mots, Silver arbora un jeu de sourcils qui posa l'accent sur sa surprise. La voix de cet homme était si profonde, si troublante, menaçante comme une mise en garde. Sans plus de préambule, Silver passa sur le mode plomb de son Magnergie et pressa la détente, espérant l'avoir à la jambe. Or, lorsque le projectile fendit l'air, l'étranger décolla bruyamment du sol, ses pieds relâchant une gerbe de flammes propulsives. Était-ce... des bottes à réactions ?

Silver fronça les sourcils, tout en poursuivant son assaut frénétique en rafale. Le capuchonné plongea en piqué, aveuglant sa future victime avec le scintillement blanchâtre de son cimeterre nouvellement dégainé. Silver sortit également sa Solarépée pour contrer l'attaque. L'ombre humaine repoussa le Défenseur en arrière d'un puissant coup de pied au torse.

Bancroft toussa bruyamment avant de se redresser et d'entamer un ardent duel à l'épée avec son ennemi. Il évita habilement le violent coup d'estoc en s'abaissant et pressa sa lame d'iridium contre celle de l'espion. Sous sa prise colossale, le Défenseur grogna :

— Qu'est-ce que vous voulez ?

— Je veux voir un gouvernement s'effondrer...

Profitant d'une faiblesse au genou qui fit douloureusement plier son adversaire, Silver l'éjecta et le coupa au niveau de la joue. Son capuchon tomba, dévoilant son faciès dur et doré, où une rigole de sang dévalait sa pommette. Ses cheveux sombres, mi-longs, s'appuyaient sur une mâchoire carrée au menton hirsute. Ses yeux reflétaient la haine comme les nuages portaient le tonnerre.

Pris d'une rage sans borne, l'inconnu fonça comme un ouragan et frappa l'épée de Bancroft avec véhémence. Son identité était à découvert ; avec cette simple information, ce Défenseur pourrait poser des avis de recherches et ainsi le retrouver. Il ne pouvait laisser faire ça ! Mettre la confrérie en danger était un acte inimaginable pour un fidèle de sa trempe. Il n'avait plus le choix.

Le vaurien abattit son poing avec fureur sur le crâne de Silver. Sous le choc, le blessé tituba comme s'il était ivre avant de ressentir une douleur incommensurable à son abdomen. Paralysé, Bancroft ravala un hoquet ; l'acier le traversait de part en part. C'était une sensation glaçante, comme si un miroir s'était brisé en lui, tranchant de ses éclats les fibres fragiles de ses cordes vocales.

— Au nom de toute la Confrérie des Maximus Ultors, je vous souhaite un excellent voyage dans l'Hypogée, maudit Défenseur...

Silver frissonna lorsque la lame fut retirée de son organisme. Le requiem ignoble de la chair mutilée résonna comme les plaintes d'un enfant. Éviscéré de toute contenance, le Défenseur s'échoua sur les roches poussiéreuses, les lèvres implorant la sainte lune de lui faire grâce. L'hémorragie se répandit progressivement sur le parterre, dessinant les contours d'un linceul écarlate et poisseux. Silver se sentait partir, indolemment, fondant dans un sommeil contre lequel il ne pouvait lutter. Il était si désolé. Désolé de ne pas avoir pu protéger sa patrie. Désolé d'avoir déçu le Gouverneur. Désolé de ne pas pouvoir honorer la promesse faite à Laliza.

— Vous paierez de votre sang toutes vos ignominies à l'égard du peuple. Nul ne pourra nous arrêter.

Ce furent les dernières paroles que Silver Bancroft entendit avant de sombrer dans un repos infini et irréversible. Sans un bruit, sans un cri. Toutefois respectueux, le Contestataire fit un signe d'étoile à quatre branches partant de son front à son épaule droite, à sa poitrine, en finissant sur l'épaule gauche pour revenir à la tête. Un rite sectaire dont il était le sacrificateur.

À l'heure du trépas, son temps était dorénavant compté. Les comparses du défunt allaient bientôt rappliquer. Toutes les informations nécessaires n'avaient guère pu être réunies, ce qu'il déplorait beaucoup. En projetant un ultime coup d'œil à la carcasse pétrifiée de la Guivre Mécanique, le tueur rangea son cimeterre dans son fourreau, fit craquer sa rotule blessée et remit sa capuche. En boitant, il emprunta alors le chemin de sortie sans se retourner.

Il s'en alla, s'évapora, disparaissant comme une ombre dans la nuit aveugle. Une ombre meurtrière que rien ni personne ne pourrait jamais arrêter.

𝐌𝐈𝐋𝐋𝐄𝐈𝐒 𝐆𝐀𝐙𝐄𝐑𝐆𝐑𝐀𝐘, T1 : La Voie des DéfenseursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant