Les yeux clos [ TOME I ]

VIII

Sa voix grave résonna dans la pièce. Karleen sursauta, sans comprendre ce qui se passait.

-« Aye aye aye Jenis… En quoi est-ce que cela nous regarde ? » Répondit l’homme âgé un sourire béat aux lèvres.

-« Vous savez très bien de quoi il s’agit. Et, elle est bien trop jeune. »

Le regard du vieil homme devint dur et sa voix plus calme.

-« Et l’âge change-t-il quelque chose ? Rangez votre faux altruisme et commençons. » Il fit signe à Karleen de s’approcher. Mais ses jambes refusaient d’avancer.

Tout ceci devenait de plus en plus sérieux. Karleen qui avait passé toutes ces semaines à ne rien faire et paisiblement avait fini par être déconnectée de la réalité. Et la redescente sur terre était rude.

Sana la poussa en avant. Elle continua toute seule quelques pas et s’arrêta devant le médecin plus jeune.

Il était grand et fin. Ses lunettes rondes entouraient des petits yeux noisettes d’un bleu très foncés. Sur sa tête, des cheveux noirs lisses couvraient son front. Il croisa ses bras et toisa Karleen.

-« Etes-vous consentante mademoiselle…. ? » Demanda-t-il d’un ton doux qui contrastait avec son air inflexible.

-« Consentante... ? » Karleen ne peut que murmurer ces mots. Elle jeta un regard de détresse à Sana.

Karleen ne savait pas si dire non allait l’aider ou compliquer sa situation alors elle hésitait.

-« euh… Je, je suis consentante. » Ce mensonge lui serra le cœur

Mais elle ne savait pas ce qui pourrait lui arriver si elle disait la vérité.
En levant les yeux elle pouvait voir que Jenis avait froncé les sourcils.

-« Ah ! » Jenis ricana comme pour se moquer de lui-même. « Dans ce cas approchez. »

Le pas hésitant Karleen s’assit sur le petit lit qui était dressé au milieu de la chambre.

-« Non, ne vous couchez pas. Venez d'abord vous peser. »

Elle se leva et s’arrêta sur la balance.
46,5 Kilo.

C’est ce que l’aiguille de la balance indiquait.
46 Kilogrammes pour 1m70. Le visage de Karleen se décomposa.

Elle était bien trop maigre !

Elle n’avait pas remarqué que son corps avait perdu autant de force. L’impression qu’une simple bourrasque de vent pourrait l’emporter la fit lever des yeux effarés vers le médecin plus âgé.

Il devait dire à Amir de la faire manger plus ! Sinon… elle pourrait devenir bien trop faible.

-« 46 Kilo… C’est déjà très bien. Ne vous inquiétez pas mademoiselle, tout ira bien. »

Sous les pieds de Karleen, le sol s’effondrait. Ce n’était pas bien du tout.

-« Vous mangez quoi habituellement ? »
C’était Jenis qui demandait.

Le cœur de Karleen s’affolait. Tout devenait si réel.

-« Je mange des fruits, des légumes… Je mange bio quoi… » Sa gorge était nouée. Elle n’arrivait pas à détourner les yeux des aiguilles. « Je peux descendre maintenant ? »

Le médecin âgé hocha la tête et lui indiqua le lit.

-« Nous allons prendre votre sang et vous faire une injection que vous devrez renouveler chaque mois. »

Elle hochaa tête. Son avis était optionnel de toute façon.

L’aiguille transperça sa peau et la poche de plastique s’emplissait d’un liquide rouge sombre.

Quand la poche fut pleine, Jenis s’approcha d’elle avec une seringue entre les doigts.

-« Tendez votre bras. » Karleen le fit. Il continua mais en chuchotant. « Je viendrai souvent ici pour vérifier votre état. Alors, je ne sais pas mais je pourrais peut-être… »

Il injecta le sérum qui s’infiltra dans ses veines. En retirant la seringue de sa peau il posa furtivement un bout de papier dans sa paume.

Karleen leva les yeux pour essayer de comprendre ce qu'il fabriquait et ses yeux s’accrochèrent à ceux du jeune médecin.
Ses lèvres roses étaient pulpeuse et son nez était droit.
Il mima un chut en souriant et se leva.

-« Je crois que nous en avons fini avec vous mademoiselle Shéhérazade. Vous pouvez vous retirer. »

Avant que Sana ne l’attire hors de la pièce, Karleen osa demander ce qu’ils feraient de son sang.

-« Quelques tests, rien de bien grave. » C’était le vieux médecin qui avait répondu.
Son sourire hypocrite faisait froid dans le dos de Karleen, alors elle se contenta de sortir à la suite de Sana.

-« Tu savais ce qu’ils allaient me faire ? »

-« Pas exactement mais oui j’avais une idée. » Répondit Sana d’un ton monocorde.

-« Tu sais très bien ce qu’ils m’ont injecté ! Tu le savais bien ! Tu ne ressens donc rien ? Tu me regarde me faire façonner comme une poupée idiote et sans cervelle et tu ne dis rien ! »

Sana s’arrêta brusquement et se tourna.
Karleen n'eut pas le temps de réagir.
Sana l’avait déjà frappée sur la joue.

Elle posa sa main sur sa joue qui commençait à picoter.

-« Tu m’énerve, tu ne comprends rien et tu n’essaies pas de comprendre non plus. Tu penses sincèrement que j’ai mon mot à dire dans cette histoire ? Ah, Je comprends pourquoi je ne pouvais pas te saquer dès le début ! Tu es vraiment idiote ! Si tu es tellement mécontente, ma chère Shéhérazade, va te plaindre chez Amir ! »