Les hommes avaient ramené Karleen au manoir. Durant tout le trajet elle n’avait pipé le moindre mot, ni émis de résistance. Elle s’était juste laissée transportée, comme l’objet qu’on voulait qu’elle soit. Ils l’avaient posé sur son lit, car elle s’était endormie lors du trajet. Son corps n’avait plus assez de force, plus d’énergie.
Dès que la porte se referma, Karleen ouvrit les yeux. Elle avait l’impression que son corps était maintenant sans vie. Il faisait toujours nuit. La lune brillait de toute sa clarté. Illuminant la chambre sombre de Karly.
Elle aurait voulu tout casser dans le manoir, tout renverser. Montrer à tous quels sentiments l’animaient, mais elle restait couchée sur son lit.
Ses pensées n’étaient qu’un immense gouffre noir et vide. Il n’y avait plus rien en elle qui l’animait. La seule chose qui était encore vivant sur elle était son corps car son esprit lui, était mort. Mort avec sa dignité. Mort dans le regard de ses gens qui la regardaient comme une bête de foire.
Dans un grincement, la porte s’ouvrit.
C’était Sana. Elle s’approchait doucement. Elle n’était pas aussi vive que d’habitude, remarqua Karleen mais elle ne dit rien.-« Karly… J’ai cru qu’ils allaient te tuer. »
Karleen ne répondit rien, l’envie ne lui manquait pas, mais la force oui.-« J’ai, j’ai eu peur. Vraiment… Que t’ont-ils fait ? Amir ne m’a rien dit. J’ai été aussi surprise que toi tu sais ? »
-« Ferme les rideaux, je t’en prie. La lumière me tue les yeux. »
Sans broncher, Sana s’exécuta. La chambre plongea totalement dans la pénombre.
-« Karleen… Je regrette la mort du petit Meryl. C’était uniquement de ma faute. »
Le corps de Karleen tressailli en entendant ces mots. Sana avouait regretter la mort absurde de ce gamin.
-« Il était si jeune… Et si découragé, je me suis dit que quoi que je lui promette, il accepterait tant qu’au bout il avait sa liberté. Et j’ai sauté sur l’occasion. »
-« Comme la salope que tu es. » Rétorqua Karleen Amer.
Sana hocha la tête. De là où elle était, Karleen ne pouvait la voir, mais elle sentait que sa voix venait de la porte.
-« Il a été recruté jeune par Amir. Il était sans rien, sans famille, sans argent, sans toit. Il n’avait pas le choix. Amir lui a offert un toit, une ‘’famille’’ adoptive, un travail, une raison de vivre… C’était trop beau pour être vrai. »
-« Au début, n’est-ce pas ? »
-« Effectivement. Ce petit exécutait tout ce qu’on lui demandait sans broncher. Vu que c’était un enfant, on ne le fouillait pas beaucoup lors des voyages. Il suffisait juste de glisser la drogue dans une poche à l’intérieur de son ventre. »
-« A L’INTERIEUR ? » S’écria brusquement Karleen en se redressant. Elle put enfin voir l’expression que Sana arborait. Elle avait l’air déchirée de l’intérieur et semblait réellement s’en vouloir. Karleen qui avait tant voulu savoir l’histoire de Meryl, l’entendait de la bouche de Sana. Etait-ce un signe ?
C’était la dernière chose vraiment réalisable qu’elle souhaitait ardemment.
-« Oui, on lui ouvrait le ventre et on fourrait le paquet là. C’était sans risque vu que des spécialistes s’en occupaient… enfin presque sans risque. »
-« Vous avez l’hôpital de la ville dans la poche, vous pouvez vous le permettre… C’est de là que vient Jenis ? »
-« Pas vraiment, Jenis est dans une famille qui est incluse dans le cartel depuis des générations et ils font tous des études de médecine de père en fils. »
-« Je vois… Alors qu’est-il arrivé à Meryl ? »
-« Eh bien, bien qu’on ne faisait pas cette opération si souvent, la fréquence et son âge ne collaient pas. Il était trop petit, trop fragile. Son corps supportait de moins en moins les opérations. Il cicatrisait mal et tombait de plus en plus souvent malade. Il a donc fallu arrêter, sinon on allait attirer trop l’attention. »
Pas à cause de sa santé, mais plutôt à cause de la sécurité et l’anonymat du cartel. Karleen sentit ses tripes se tordre.
-« Alors ? » Demanda-t-elle.
-« Il a été comme rétrogradé. Nous avons eu un nouveau poulain pour ce genre de mission. Et Meryl, lui il vendait des produits de basse qualité dans les quartiers paumés. Il n’avait pas l’air d’aimer cette vie et voulait arrêter. Mais c’était impossible, Amir ne voulait pas. Meryl était un investissement et il comptait bien récupérer les gains. Le garder jusqu’à la fin. »
-«… »
-« Il a essayé de fuir, de raconter, de dénoncer, mais tout se solda par des échecs et des punitions. »
-« Quels genre de punitions ? »
-« On lui arrachait les ongles de ses doigts. Ou, on le noyait pendant quelques minutes… »
Les yeux de Karleen s’ouvrirent de peur et de dégoût. Elle essayait d’imaginer ce que ce pauvre enfant avait subi en seulement 16 ans d’existence. Et elle qui se plaignait de son petit malheur.
Il avait dû trouver son histoire bien ridicule devant tout ce qu’il a vécu. Karleen regretta encore plus n’avoir pas pu le protéger. Sa haine se redirigea vers Sana.
-« Et toi, sans le moindre scrupule tu lui as vendu du rêve, et l’as conduit à une mort horrible ! Pourquoi ? Juste parce que tu ne m’aimes pas… Mais quels genres de personnes êtes-vous dans ce manoir ? »
Karleen exprimait toute sa douleur, sa révulsion pour eux, mais sa voix était calme. Elle pleurait doucement, parlait sans crier. Elle ne levait même pas les yeux.
- « Je me suis laissée aveugler par des choses futiles. Je suis désolée Karleen. »
Karleen hocha la tête et se recoucha sur son lit. Elle s’enroula dans ses draps et essaya de calmer le flot de ses larmes.
Elle ne pleurait pas uniquement pour ce qu’elle avait subi, ni pour l’histoire tragique de Meryl. Non, elle pleurait car elle avait pris sa décision. Elle n’avait plus rien à prouver à personne, elle n’était même plus traitée comme une humaine alors à quoi bon ?
Elle voulait juste revoir Hayden. Tout lui expliquer. Voir son visage se décomposer, et la fierté dans ses yeux vaciller. Le voir vulnérable.
Juste le voir.
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Les yeux clos [ TOME I ]
Teen FictionUne histoire comme les autres. Une jeune fille enlevée à sa vie, sa routine. Devenue une coquille vide, Karleen se voyait sombrer sans jamais apercevoir la surface. Plus rien ne semblait lui appartenir, pas même son corps. Encore moins ses sentiment...