XLV

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La fin de la fête se passa comme dans un songe que Karleen peina à reconstituer à son réveil le lendemain. Elle se demandait assise sur son lit si elle avait rêvé.

Si Sybel était vraiment dans un coma après les coups reçus des hommes d’Amir.

Si Hayden l’avait croisé, puis détourné le regard sans lui dire un mot.

Si… C’était vraiment son beau-père qui l’avait vendu à Amir. S’il était vraiment la cause du cauchemar qu’elle vivait. Il l’avait sacrifiée pour le reste de la famille.

Son cerveau n’arrivait pas à réaliser. Son cœur, ne pouvait comprendre les sentiments qui ont bien pu l’animer pour qu’il arrive à prendre une telle décision. De toute façon, c’était bien trop tard pour se poser ce genre de questions.

Karleen ne sortit pas de sa chambre toute la journée. Se sentant coupable de l’état de Sybel, elle n’aurait pas supporté de voir Eden.

Le lendemain non plus, elle ne sortit pas. Malgré son envie de parler à quelqu’un. Jenis, ou Hayden… Mais elle avait peur de les confronter.

Le jour qui suivit, elle essaya d’aller voir Hayden, mais elle n’eut pas le courage.
Toute la semaine passa sans que Karleen ne dise le moindre mot à qui que ce soit.

Ni Hayden, ni Jenis n’étaient venus la voir. Eux aussi la voyaient-ils comme une personne facilement remplaçable ? Les seules personnes qui restaient assidus avec elle étaient Sana et… Amir.

Amir continuait à prendre son plaisir alors que Karleen n’était qu’une coquille vide. Selon lui elle était devenue plus docile, plus sage. Elle ouvrait les jambes et fermait sa grande gueule, à son plus grand bonheur.

Mais, tous ses mots n’atteignaient plus les sentiments de Karleen.
Pourrait-elle un jour retrouver une vie normale ? Non, ce serait mieux pour elle d’abandonner ce rêve…

Le temps passa, sans que Karleen ne parle à Hayden. Pour elle, sa vie ne pourrait plus prendre de tournant plus grave.

**********************

Comme à son habitude, Karleen ferma les rideaux pour empêcher la lune d’éclairer sa chambre. Elle se coucha dans son lit, s’emmitouflant dans les draps épais. La saison froide arrivait à grands pas et Karleen de nature frileuse, le sentait déjà.

La porte s’ouvrit dans un fracas qui la fit sursauter. En ouvrant les yeux, elle vit deux hommes à la carrure imposante se diriger vers elle. Terrifiée, elle se recroquevilla dans ses draps, comme s’ils pouvaient la protéger de la menace. Sana se tenait dans l’entrebâillement de la porte tétanisée. Ses yeux jonglaient entre les deux hommes.

Pour une fois, elle semblait ne pas savoir ce qui se passait, ou alors, elle était totalement effrayée.

Karly arrivait à lire la détresse dans les yeux de cette femme qui a toujours été d’une froideur sans pareil avec elle. Et, cela ne la rassurait pas.

Les deux hommes empoignèrent Karleen brusquement et la sortirent de son lit. L’un d’entre eux sortit une seringue remplie et lui injecta le liquide dans les veines de son bras. Elle sentit la drogue s’insinuer dans son sang, se mêler à lui et brûler ses veines. Son pouls s’accéléra légèrement.

Il semblait que cette fois elle avait reçu une dose plus forte que les autres jours. Son corps avait plus de mal à le diluer.

Comme si elle avait reçu un coup de massue sur la tête, son corps devint de plus en plus lourd et sa bouche plus pâteuse. Sa vision se troubla et ses oreilles se mirent à bourdonner.

Comme Karly ne tenait plus debout, les hommes l’attrapèrent par ses bras et la maintinrent en équilibre.

-« Qu’allez-vous me faire ? » La voix de Karleen était tremblante et lascive.

Les hommes ne lui répondirent pas. L’un s’attela à lui passer des menottes tandis que l’autre la bâillonnait et lui couvrait les yeux.

Comme ce jour-là.

Le jour où elle était arrivée dans ce manoir complètement sans défense. Tous ses membres étaient crispés et tremblants de peur. Elle ne savait pas où ils l’emmenaient.

Etait-ce la fin pour elle ? Amir s’était-il lassé d’elle ? Allait-il se débarrasser d’elle ?

Les questions se bousculaient dans sa tête alors que les hommes qui la tenaient par les bras l’escortaient dans un lieu inconnu.

Le fait d’être totalement privée de sa vue rendait la situation plus stressante pour Karleen. Elle était lourde et n’arrivait à mouvoir son corps comme elle le voudrait.

Ses mouvements les plus vifs se soldaient par des vertiges qui l’empêchaient de recommencer avant plusieurs secondes.

Elle sentit qu’on la fit monter dans un véhicule. Encore une fois. Sans émettre le moindre son, elle laissa ses larmes dévaler ses joues. Il serait peut-être mieux qu’Amir l’achève.

Elle n’était devenue plus que l’ombre d’elle-même. Elle n’avait plus d’âme, plus de vie.
Savoir que son beau-père était la cause de son kidnapping lui avait retourné l’estomac. Elle avait été trahie par une personne en qui elle avait une totale confiance.

Une personne qu’elle avait décidé d’aimer, d’accepter malgré ses traumatismes et les défauts de cette personne.
Sa mère était-elle de mèche ? Au moins, ils vivaient mieux… Sans elle. Elle arrivait à espérer que ses frères soient heureux. Ce serait pour elle comme l’être par procuration.

Alors que la voiture s’ébranlait sur l’asphalte, les pensées de Karleen dérivaient de sa famille à Hayden, puis elles revenaient à Sybel.

Cette pauvre jeune fille qu’elle avait voulu épargner se trouvait encore une fois par sa faute inconsciente sur un lit d’hôpital.

Oui, finalement, il valait mieux que Hayden la tue. Qu’il vende ses organes. Qu’il lui arrache le cœur. Afin qu’elle ne puisse plus aimer Hayden, qu’elle ne puisse plus se haïr pour la mort de Meryl, pour l’état de Sybel. Elle n’aurait plus à détester Amir et Sana.

Elle serait vide, dans le néant. Ou alors elle irait en enfer. Brûler au milieu des flammes ardentes. Qui sait, ce sera peut-être moins pire que la sensation qu’elle ressentait en ce moment. Comme si… On lui lacérait le cœur, qu’on le marquait au fer chauffé. Qu’on le broyait.

Malgré toute cette souffrance, elle se demandait où elle trouvait encore la force d’aimer Hayden si profondément. L’aimer au point d’espérer qu’il la cherche aujourd’hui. Qu’il demande à Sana. Qu’il vienne la délivrer…
Qu’il l’achète à son père ?

Quelle idée sordide ! Mais ô combien elle aurait préféré être son joujou plutôt que celui de Amir. Elle serait restée sans se plaindre même s’il voyait d’autres femmes, même s’il finissait par en aimer une autre plus qu’elle.

Elle serait restée pour lui. Parce que se sentiments pour lui étaient irrationnels. Ses sentiments pour lui étaient déraisonnables.

Ses sentiments pour lui étaient… Toxiques et malsains. Enivrants et addictifs. Douloureux et plaisants… Contradictoires pourtant si bien définis. Il n’y avait que lui qui ne voyait pas comment elle l’aimait. Et le lui avouer n’était pas une option.

Karleen se sentait bien trop sale pour prétendre avouer ses sentiments à Hayden.

Hayden était la lumière, il brillait. Elle, elle était corrompue, sans âme… une loque presque sans vie.

Les hommes la sortirent de la voiture et la conduisent au pas de course dans une pièce. Toujours privée de la vue et de la parole, Karly ne savait pas où elle se trouvait. Mais lorsqu’elle entendit une porte claquer, elle comprit qu’elle était dans une autre chambre.

Elle se mit à balbutier des propos incompréhensibles lorsqu’elle entendit des pas se rapprocher d’elle.

La personne ne fit pas attention à ce qu’elle essayait de dire mais, elle descendit la fermeture de la robe de Karly.

Les yeux clos [ TOME I ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant