Chapitre 42

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Je passe une bonne partie de la nuit les yeux grands ouverts, trop excité pour trouver le sommeil (il faut dire aussi que j'ai pioncé une bonne partie de l'après-midi). Tout en gigotant sur mon matelas, je ne fais que penser à mes ailes. Dire que je les avais en moi depuis tout ce temps, comme des sortes de dents définitives ! À moins que ce soit la maginélose qui les ait fait pousser ? Dans ce cas-là, cela vaut presque la peine d'être malade.

Presque.

Au bout de deux heures d'insomnie, n'y tenant plus, je me redresse sur mon lit. Un coup d'œil vers Jérémie m'apprend qu'il dort profondément, la bouche entrouverte, comme un poisson hors de l'eau.

Je me lève et je me déplace jusqu'à la fenêtre sur la pointe des pieds. J’ouvre grand la vitre et jette un regard nerveux vers le bas. Ma chambre est au quatrième étage. Une chute à une telle hauteur n’aurait rien de très agréable. Mais je n'ai désormais plus à avoir peur du vide.

La peau de mes omoplates palpite et mes ailes sortent de mon dos fort obligeamment. Le processus n'est pas douloureux. Il chatouille tout au plus.

Je me retourne pour observer les délicates appendices dont j'ai toujours rêvé. Mes ailes pendent hors des trous que j'ai pris la précaution de faire sur mon pyjama juste avant de me glisser au lit. Sous la lueur de la lune, la couleur rose paraît argentée et je les trouve magnifiques. J'essaie de les agiter. Je n'ai pas la moindre idée de comment m'y prendre. Au début, elles se contentent de tressauter assez mollement. Puis le rythme de leur battements devient plus régulier. À ce moment-là, je sens mon corps se soulever de quelques millimètres et je m'agrippe à la fenêtre par réflexe.

Je n'ai bien sûr aucune expérience pratique de vol (mis à part ma brève et plus que récente expérience avec Auguste qui s'apparentait davantage à une chute plus ou moins contrôlée qu'à un vol). En revanche, je suis un expert de la théorie pour avoir passé des heures à regarder Morgane s'entraîner, bien souvent contraint et forcé. Je sais par exemple que mes ailes sont composées d'une fine membrane translucide et d'une structure complexe de veines. Je sais également que je peux me diriger en utilisant leur angle et en inclinant mon corps de diverses façons. Je suis théoriquement même capable de faire du surplace (les libellules dont s'inspirent mes ailes sont connues pour cela). Sauf que… et bien… je ne suis pas du tout certain de réussir à mettre toute cette belle théorie en pratique et le sol me paraît très très lointain !

Mon cœur bat à toute allure d'un mélange de peur et d'excitation. Il est temps de me lancer.

Doucement, toujours en l'air, je fais sortir mon corps hors de la chambre, tout en me retenant toujours prudemment.

Je prends plusieurs grandes inspirations en lâchant la fenêtre un doigt après l'autre. Et je me jette dans le vide sans plus réfléchir. Pendant un quart de seconde, je me contente de tomber, avant que mes ailes prennent le relais. Leur battement ultra rapide ne produit presque aucun son (N'allez pas vous imaginer que je fais le même bruit insupportable qu'un moustique !).

J'incline mon corps vers l'avant comme j'ai vu ma jumelle le faire des centaines de fois, même s'il est probable que je ne me révèle pas aussi grâcieux qu'elle. Et, bizarrement, cela marche. Enfin, je veux dire que je reste à la même hauteur tout en filant droit devant moi. Les ailes passent de l'avant à l'arrière à une vitesse folle.

Un grand sourire étire mes lèvres. J'ai l'impression que je commence à piger la coordination nécessaire !

Soudain, un courant d'air plus fort que les autres balaye le parc et arrivé jusqu'à moi. Mes ailes réagissent au quart de tour en modulant leur angle pour faire face à la brise qui ne fait que me passer autour.

Je confirme : j'ai pigé !

J'aperçois une tâche noire brillante au-dessous de moi qui ne peut être que le lac du domaine. Et si j'allais y tester le fameux vol stationnaire ?

Je tourne la tête vers le bas, persuadé que le reste de mon corps va suivre le mouvement. Sauf que non, curieusement. Je me retrouve à faire un looping, ce que je n'avais pas du tout prévu.

Bon. Disons que j'ai presque pigé. Le principal, de toute façon, c'est que je suis enfin une fée avec des ailes !

Un grand sourire étire mes lèvres. Voler est assurément la chose la plus incroyable au monde. Après embrasser Auguste Koch, bien sûr, mais il est inutile de comparer l’incomparable. Je comprends pourquoi Morgane en fait toute une histoire. Je me demande si je pourrais parvenir à devenir aussi rapide qu'elle. Sans doute pas. Elle s'entraîne depuis des années avec acharnement. Cela dit, j'adorerais pouvoir un jour la dépasser par surprise au beau milieu d'une course. Ha ! Ce serait le plus beau jour de ma vie ! Elle en tirerait une tête !

Et, soudain, plaf, j’ai l’impression d’entrer en collision avec un mur invisible. Je me retrouve écrasé sur une surface inconnue telle une mouche s'étant prise une fenêtre fermée, les bras et jambes écartées. Après un instant de surprise, je comprends que je viens de heurter la protection magique qui protège les surnaturels des regards indiscrets des humains. Évidemment. La protection est aussi matérielle et fonctionne dans les deux sens.

Je bats en retraite, contrarié. Si je voulais continuer ma course, je pourrais toujours me faufiler par le trou dans le mur que m'a un jour indiqué mon délinquant de petit ami et m’élancer à nouveau dans les airs. Mais je me ferais voir par des humains et cela provoquerait ensuite tout un bazar que je préfère éviter. Sans compter que je commence à fatiguer. Je ne m’étais pas imaginé que voler était aussi fatiguant. Je comprends mieux, maintenant, l'état dans lequel se trouve Morgane après chaque course. Je ne suis qu'un débutant dans cette discipline. Je ferais mieux de retourner me coucher avant de m'écrouler d'épuisement et de me rompre le cou. Je n'ai jamais entendu parler d'une fée qui serait tombée des airs. Mais, d'un autre côté, je n'ai jamais entendu parler d'un garçon fée, alors tout est possible, dans mon cas.

Il fait frais et je ne porte qu'un léger pyjama qui bat dans le vent. Je croise les bras sur ma poitrine pour essayer de me réchauffer un peu. La prochaine fois, je porterai ma plus grosse doudoune, même si je dois la trouer pour cela. Il faudra que j'espionne discrètement Morgane pour voir comment elle s'y prend pour que cela reste discret.

Je ne vole plus très droit et je suis bien soulagé lorsque je me pose sur le rebord de la fenêtre de ma chambre. Sauf que mes ailes ne paraissent pas avoir envie de se rétracter bien gentiment, comme si elles avaient envie de continuer à s'agiter, après quinze ans d'inaction. Je fronce les sourcils.

— Allez ! je leur chuchote avec sévérité.

Têtues, elles vombrissent une dernière fois avant de céder et de se faufiler à l'intérieur de mon dos, ne laissant sur leur passage qu'une vague douleur aux omoplates qui m’est désormais familière.

Une immense fatigue me tombe alors dessus. Je me laisse lourdement tomber à l'intérieur de la chambre, réveillant accidentellement mon colocataire qui marmonne un :

— Qu'est-ce qui se passe ? Tout va bien ?

— Oui, je m'empresse de chuchoter. J'ai juste pris l'air. Tout va pour le mieux.

Et, à cet instant, je le crois fermement.

Le lycée des Surnaturels (bxb)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant