Chapitre 54

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Nous effectuons le trajet du retour dans le silence. Les talons des bottines de Titania claquent un peu plus fort qu'il ne le faudrait sur les pavés. Je n'ouvre pas la bouche de crainte de vomir à nouveau. Je suis toujours nauséeux. J'ai l'impression de sentir de nouveaux boutons éclore sur mon corps. J'ai envie de me gratter la peau jusqu'à les arracher. C'est peut-être le stress. J'ai de bonnes raisons de stresser, en ce moment. C'est le moins qu'on puisse dire !

— Oublie ton loup, me lance soudain Titania avec un agacement visible lorsque nous arrivons dans le quartier du lycée. Il ne t'est pas destiné.

Je pousse un profond soupir et lève le menton pour regarder le ciel nuageux. Ce qu'en j'en vois entre deux immeubles, en tout cas. La vue dégagée de Saint-Malo me manque. À Paris, j'ai toujours l'impression d'être prisonnier entre des murs. 

— Je sais.

La fée hausse un sourcil, les bras croisés.

— Et alors ? Pourquoi continues-tu à te languir de lui ?

Je la regarde de travers. Elle croit qu'il est si facile que cela d'oublier quelqu'un ? Les sentiments ne se commandent pas, malheureusement. J'aimerais bien pouvoir choisir de qui je tombe amoureux. Et, si c'était le cas, Titania serait tout en bas de la liste, je peux vous l'assurer. J'aurais infiniment préféré passer le temps que j'ai perdu avec Auguste. Voilà, c'est dit. Je sais, je sais, je m'étais promis de ne pas penser à lui. Mais je l'ai quand même fait, et plus d'une fois. Le coup du lac vaseux n'a pas du tout marché. Il faut dire que c'était une idée stupide. On ne se débarrasse pas de son premier amour si facilement. Il faut des années pour cela, à ce qu'il paraît.

Mon ventre se creuse. Je n'ai pas tout ce temps devant moi.

Nous sommes arrivés au niveau de la grille de l'Institut. Deux louves bras dessous bras sortent à ce moment-là. Le week-end, il est parfaitement licite de quitter l'établissement, à condition d'être de retour avant minuit. Même si mes camarades ne se gênent pas le moins du monde pour utiliser le trou clandestin dans le mur lorsqu'ils veulent faire la fête plus longtemps, en particulier mes congénères. En même temps, à quoi s'attend l'administration ? Tout le monde sait que les fées ont l'esprit festif. On ne les enferme pas entre quatre murs comme cela.

Je me plante face à Titania. Je vais enfin pouvoir me débarrasser d'elle.

— Hum... Cette sortie était sympathique, je mens dans un effort pour être gentil, comme Maman le voudrait.

Les lèvres pincées, elle ne daigne pas me retourner la politesse. Le vent fait voltiger ses longs cheveux roux. Elle les coince derrière ses oreilles en m'ignorant. Le pire, c'est que ça se voit qu'elle ne m'apprécie pas non plus. Elle ne s'oblige à me fréquenter qu'en raison de cette histoire de bébés surpuissants. Si ça se trouve, elle ne fait que suivre des instructions données par des membres de sa famille. Ou, pire, des membres de ma famille. À savoir, Grand-mère. Elle voulait me caser avec elle, avant la rentrée. J'ignore si elle acceptera un jour le fait que je suis gay.

Je pousse la grille en soupirant mentalement. J'entends des exclamations non loin de là. Ce sont des loups et louves garous en pleine partie de football. Quelle idée de faire du sport en dehors des cours... Enfin, si cela les amuse... Qu'ils ne comptent pas sur moi pour participer. Même s'il est peu probable que me le propose un jour, tant je suis nul.

Une silhouette musclée à la puissance animale se détache des autres. Ses muscles ondulent sous la peau alors qu'elle se dirige vers les buts. L'individu tire. La balle fend l'air à une vitesse folle. Le gardien de l'équipe adverse ne parvient pas à l'arrêter. Des beuglements d'enthousiasme ou de dépit s'élèvent sur le terrain. Le loup qui a marqué se met à courir pour taper les mains de ses coéquipiers, comme les joueurs le font à la télévision. Suis-je obligé de vous préciser qu'il s'agit d'Auguste ? J'imagine que non... Le destin a décidé de me tourmenter, aujourd'hui. Il semble me dire : "Ah tu veux l'oublier ? Eh bien, paf, je te le mets sous les yeux pour que tu ne fasses que penser à lui. Et, en plus, je te le montre jambes nues".

Une louve le félicite d'une claque dans le dos. Je serre les dents, agacé de cette proximité. De quel droit se permet-elle de se montrer si familière avec lui ? En plus, elle est super belle, avec ses longs cheveux noirs savamment tressés et se terminant par des perles. Je sais que nous ne sommes officiellement plus en couple, mais...

Mes jambes se mettent en marche de leur propre initiative. Il me semble que Titania me dit quelque chose que mes oreilles refusent d'entendre. J'avance tout droit vers le terrain, un pas après l'autre. Mon cerveau cesse de fonctionner, trop concentré sur un seul objectif. J'entre comme une flèche sur la pelouse, attirant l'attention de tous les joueurs sur moi. Auguste, trop occupé à fanfaronner, est le dernier à m'apercevoir. Enfin, il se retourne et me fixe, le visage sans expression.

Une petite voix au fond de ma tête me hurle : "mission abandonnée. Demi-tour !". Mais mes jambes l'ignorent, trop obstinées à s'agiter vers l'avant, ces idiotes.

Auguste ne me quitte pas du regard. Je suis arrivé juste devant lui. Je m'arrête enfin avant de le percuter de plein fouet.

Ma bouche s'ouvre contre mon gré.

— Je sais que tu partiras le 21 décembre, je lui dis. Je sais qu'après cette date tu n'en auras plus rien à faire de moi. Mais, en attendant, je veux passer chacune des secondes qui restent auprès de toi. Enfin, sauf pendant les cours que nous n'avons pas en commun. Ou quand nous dormirons. Ou quand nous prendrons notre douche, bien sûr. Ou...

Ma voix accepte enfin de se taire avant de sortir d'autres bêtises et d'achever de me ridiculiser. Je reste planté là, les bras ballants et le cœur battant.

Auguste me fixe toujours, sans un mot.

Les larmes me montent aux yeux.

— Je..., je bredouille. Je...

Ma poitrine se compresse. Je n'arrive plus à respirer ! Je vais m'évanouir, mourir, et...

Les lèvres de l'alpha écrasent alors les miennes. Pendant une seconde, je m'imagine qu'il a remarqué mon malaise et cherche à me faire du bouche à bouche. Puis je comprends qu'il se contente de... de m'embrasser ? Auguste m'embrasse ? Ce qui veut dire qu'il... qu'il... Qu'il veut bien m'aimer encore un peu ?

Les autres loups sifflent, ricanent ou réalisent d'autres actions stupides typiques des membres de leur espèce. Je ne leur accorde cependant aucune attention, trop occupé à bouger mes lèvres en rythme contre celles de l'alpha. C'est une activité qui nécessite toute ma concentration, d'autant que je n'ai plus beaucoup d'air dans les poumons. Même s'il est possible, au fond, que je sois déjà mort et en paradis. Je crois que je n'ai jamais été aussi heureux. Le corps de l'alpha pressé contre moi est chaud et familier.

— Bon, finit par s'agacer une louve, on peut reprendre la partie ?

Comme ni Auguste ni moi ne nous donnons la peine de répondre, trop occupés à nous dévorer mutuellement, nos mains agrippées. Les joueurs finissent par décider de faire comme si nous n'étions pas là et recommencent à jouer autour de nous, nous contournant comme si nous étions une sorte de poteau mal placé. Les tirs fusent. Avec ma chance légendaire, je serais bien capable de me prendre la balle en pleine tête et de mourir ensuite d'une commotion cérébrale. Mais je ne risque rien, aujourd'hui, car je suis dans les bras d'Auguste, ce qui me rend invincible

Le lycée des Surnaturels (bxb)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant