Chapitre 20

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Je ne me sens pas très en forme au fur et à mesure que la journée s'écoule. Mon ventre émet des gargouillis étranges qui m'attirent quelques regards désapprobateurs. J'alterne entre des bouffées de chaleur et des frissons qui me secouent de la tête aux pieds. J'arrive à peine à suivre les cours. Je somnole pendant une bonne partie du français, ce qui n'est pas si grave parce que j'ai déjà lu le livre que nous sommes en train d'étudier (Lancelot, de Chrétien de Troyes, qui est un classique, pour les fées, même si, croyez-moi, ce bouquin raconte un peu n'importe quoi à notre sujet).

Je tente de me réveiller un peu avant notre second cours de magie féérique. Je ne veux pas me faire disputer par Mme Bihan qui me fait un peu peur, surtout en raison de sa ressemblance frappante avec Grand-mère. De plus, cette prof semble être une fervente adepte de l'enseignement pratique, ce qui ne m'enchante guère. J'ai un faible pour la théorie. Il suffit de feindre d'écouter et de recopier les notes d'un camarade plus attentif (ou de sa jumelle, quand on en a une) un peu avant l'examen. La pratique nécessite en revanche un rôle actif à chaque instant et comporte le risque de se ridiculiser devant tout le monde.

Comme je le redoutais, je découvre en entrant dans la salle de classe tout un bric-à-brac posé sur le pupitre de la professeure, ce qui ne présage rien de bon. Des petites plantes en pot côtoient des plumes multicolores de diverses tailles, des bougies à moitié fondue ou encore des fioles remplies d'un liquide transparent.

— Nous allons aujourd'hui travailler à renforcer votre élément, déclare la prof en nous invitant à nous servir. Prenez un objet en rapport avec votre don et allez vous asseoir à votre place sans papoter.

Elle insiste sur les deux derniers mots. En vain, car le papotage fait partie des spécialités des fées et c'est un art que mes semblables maîtrisent à la perfection.

J'aperçois Morgane s'emparer d'une imposante plume de paon aux reflets iridescents. J'essaie de lui faire un petit signe, pour lui dire bonjour, mais elle prend grand soin à feindre de ne pas me voir. Agacé (d'accord, j'ai oublié cette fichue sélection, mais ce n'est pas la mer à boire ! Je me suis excusé, en plus), je me mets tout à la fin de la queue. Comme je suis supposé être une fée de l'eau (quoique j'aie de sérieux doutes depuis hier), je prends l'une des fioles au hasard et je retourne me cacher au dernier rang, à ma place favorite.

La prof nous demande de réfléchir à une action liée à notre élément, car nous devrons en faire une démonstration lorsqu'elle passera nous voir pour nous donner des conseils.

Et elle se rend aussitôt auprès de Morgane qui est assise à la table la plus proche de l'estrade et se dandine sur son banc avec impatience, sa plume démesurée à la main.

Je contemple mon eau, me creusant la tête. Il ne faut surtout pas que je la transforme en glace, comme dans la douche, ni que je ne fasse rien qui pomperait trop mon énergie. D'un autre côté... Je m'imagine pendant une seconde ou deux briller devant tout le monde, comme Morgane le fait sans arrêt. Cette perspective n'est pas si désagréable. Je ne suis peut-être plus condamné à jouer le rôle du nul de service.

Je fais tourner la fiole entre mes doigts. Je sais. Je voulais attendre d'être sûr avant de faire part à qui que ce soit du développement de mes pouvoirs. Mais ai-je encore des doutes à ce sujet ? Mon moment de gloire est peut-être arrivé !

Je me mets à trembler sous l'effet de la pression. Oui, je vais faire quelque chose d'impressionnant comme... comme...

C'est toujours dans ces moments-là que mon imagination me laisse tomber. Comment peut-on de toute façon briller avec un récipient aussi petit ?

Je me gratte frénétiquement le bras gauche, comme si cela allait me fournir l'inspiration nécessaire.

Mme Bihan passe à la prochaine élève, une fille avec des piercings partout et les cheveux teints en violet. J'apprécie son style. Je suis sûr qu'elle aime le noir, comme moi, et qu'elle souffre de devoir porter un uniforme vert. Mais là n'est pas la question. La question est de savoir ce que je vais faire subir à cette stupide fiole.

Je fais clapoter le liquide pour me donner des idées, une technique qui ne porte pas franchement ses fruits.

— Prenez le temps de ressentir l'élément qui vous entoure, est en train de conseiller Mme Bihan à Titania Prigent qui paraît très vexée de ne pas recevoir de compliments.

Puis elle continue son ascension dans les gradins de l'amphithéâtre. Je n'ai presque plus de temps, car je suis le seul élève de ma rangée.

Faute de mieux, je finis par me décider à commencer par donner à l'eau une teinture rouge sang. Puis je la ferai jaillir hors de sa fiole de façon esthétique. Du moins, c'est le plan.

La prof s'arrête à deux pas de moi et me fixe sans dire un mot. Je me gratte la gorge et débouche la fiole. Je pose la main au-dessous et me concentre. Il se passe alors... Il ne se passe rien du tout ! L'eau ne change pas de couleur ! Elle ne prend même pas une teinte très vaguement rosâtre pour montrer sa bonne volonté.

Mme Bihan hausse un sourcil. Je m'attends à un déluge de critiques ou à une remarque blessante, comme le ferait Grand-mère. La prof déclare cependant :

— Je ne suis pas absolument certaine que vous soyez lié à l'eau, Vivien. La prochaine fois, essayez de vous concentrer sur la terre ou l'air.

Et elle part sans autre commentaire.

Mon mal-être persiste une bonne partie de la journée. J'ai toujours si mal au ventre que je me passe de déjeuner. J'envisage un moment de me rendre à l'infirmerie, mais ce n'est que le troisième jour de cours et je ne veux pas passer pour une petite chose fragile (et puis nous sommes vendredi, alors le week-end commencera dans quelques heures). Je me pose donc sur un banc sur lequel je prends de grandes inspirations pour chasser la nausée qui m'a repris. Quand je me sens un peu mieux, je décide d'utiliser utilement le temps qui me reste avant mon prochain cours. Utilement ne signifie pas, hélas, jouer à The Witcher 3, quoi qu'on apprenne parfois un truc ou deux avec les jeux vidéos, contrairement à ce que pensent les parents. Non, utilement veut simplement dire que je me rends une deuxième fois à la bibliothèque.

Le haut de mes bras me démange tout au long du chemin. Je me gratte machinalement, sans y penser. La table que j'avais occupée la dernière fois est libre et je m'y installe. Je pose mon sac au sol et me gratte de plus belle.

Je sors une liste d'ouvrages de renforcement de don que nous a distribuée Mme Bihan et qui est longue comme mon bras. Je choisis un titre au pif dans l'idée de l'emprunter. Il ne me reste plus qu'à le trouver au milieu de ces milliards de bouquins. Un jeu d'enfant.

Je bâille un bon coup, fatigué par avance. Je suis cependant obligé de m'interrompre pour me gratter le bras.

Comme ça commence à m'inquiéter, je soulève les manches de ma veste, puis celles de ma chemise. Et j'ai un choc terrible. Mes bras sont couverts de boutons ! Il y en a de mon poignet à mon coude, et même quelques-uns un peu plus haut !

Je les examine sous tous les angles. J'en trouve de toutes tailles. Des petits, des moyens, des monstrueux. Tous sont rouges vifs avec un petit point blanc au milieu. Je n'ai jamais rien vu d'aussi laid sur ma peau !

Je rabats mes manches pour les cacher à nouveau, m'imaginant à moitié que ne plus les voir va les faire disparaître. Bien sûr, ils sont toujours là lorsque je relève le tissu quelques secondes plus tard.

Oh là là.

Je n'ai jamais eu d'acné, même pendant la pire période de mon adolescence. Pour cela, je partage la peau sans défaut des fées, ce qui est toujours ça de pris.

Une idée effroyable me coupe la respiration : et si j'avais des boutons partout, y compris sur le visage, comme l'affreux magicien voleur de croissant ?

J'utilise aussitôt la caméra de mon portable pour scruter ma face avec inquiétude. À mon grand soulagement, ma peau est aussi lisse que d'habitude. Les boutons semblent se cantonner à mes bras.

Je me demande ce qu'il est encore en train de m'arriver...

Le lycée des Surnaturels (bxb)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant