Adiel
Plus de huit mois étaient passés depuis le départ d'Arjen. Lorsque je posais mon regard sur la voûte nocturne et que les étoiles apparaissaient une à une, je me demandais vers laquelle il s'était dirigé ; vers laquelle il était à ce jour. Je me demandais s'il allait bien ; si la mer avait pris soin de lui et si Asthan avait entendu ma prière de le ramener lui et les autres à bon port. Je ne pouvais qu'espérer que tout aille bien et regarder l'horizon, jour après jour, dans l'espoir de le voir. Hier soir n'y avait pas fait exception et ce soir ne le serait pas non plus.
— Jötnar, regardez ce que j'ai trouvé !
Cette façon si singulière de crier... Je reconnus la voix de Sigrid. Elle était la preuve vivante que beaucoup de choses avaient changé dans le village depuis la mort d'Egbert. Ça faisait environ 6 mois que c'était arrivé et après ça, les choses avaient doucement évolué. On s'adressait à moi, on me saluait, on me demandait des centaines de choses parfois. Je faisais partie des géants. Je m'étais occupé de la cérémonie de mort du grand rouquin et Amma m'avait secondé.
J'en avais beaucoup pleuré, malgré moi. Les géants avaient monté un bucher et y avaient déposé le corps d'Egbert et Jór. Les tisseuses avaient déposé des fleurs à foison sous leurs corps et autour d'eux et j'avais moi-même apposé leurs runes et tous les symboles pour la préparation, guidés par l'aïeule. J'avais mis le feu au bûcher, les mains tremblantes, et Amma avait chanté. J'avais prié, longuement, et je les avais remerciés.
Le soir, au coin du même feu où nous avions mangé, j'avais raconté aux géants mon lien avec la mort. Je les avais contés à quel point à Hemel cela était chose sombre, à quel point cela était différent. Je m'étais ouvert à eux, comme je ne l'avais fait qu'avec Arjen, Egbert et les frères Gunnar et Gudbrand. J'avais réalisé ce soir-là, au milieu des braises qui s'élevaient pour rejoindre les puissances, que j'avais moi aussi manqué mes devoirs. J'avais été si terrifié que je n'avais jamais cherché à m'ouvrir à eux.
Aujourd'hui, j'avais cessé de regretter Hemel et Björsarion était devenu comme mes rêves, mieux encore. Il m'arrivait encore de penser à Egbert, à sa voix, à son souffle, à ses yeux et à son rire. La peur de l'oublier ne l'était plus. Je n'avais rien oublié et j'étais certain que s'il venait à ressusciter, même après des siècles, je serais capable de le reconnaître rien qu'à sa respiration. Lorsque je repensais à mon ami, je le faisais avec une mélancolie certaine, mais reconnaissant d'avoir eu la grâce de le connaître.
Quant à l'allégeance de Jór à mon encontre, elle avait été le reflet de tous mes détracteurs. Sigrid en avait été une et, aujourd'hui, elle n'avait, comme les autres, montraient aucun signe d'irrespect. J'étais à leurs yeux à tout Jötnar. J'étais leurs cœurs et je le ressentais parfaitement. Sigrid s'arrêta alors devant moi et me tendit des baies noires. Les géants les appelaient « reynir », le sorbier des oiseleurs. Des petits fruits ronds et particulièrement amers. Nous étions dans la saison et cela s'était révélé être mon péché mignon.
— Hail, Sonr, salua Sigrid avec sa main sur mon ventre arrondi.
« Sonr », c'était ainsi que le village avait surnommé le bébé. Cela signifiait « fils ». Les plus vieux disaient avoir rêvé d'un enfant mâle et la rumeur s'était répandue comme une traînée de poudre.
— Sonr est très agité aujourd'hui, m'en amusai-je. Il a dû sentir que tu lui apportais des baies. Merci Sigrid.
Elle m'offrit un sourire radieux que je lui rendis.
En huit mois, d'autres choses avaient changé comme... mon ventre. Il était devenu énorme. Mes vêtements hemelien s'étaient tous rompus et les tisseuses m'en avaient confectionné de nouveau : ceux qui étaient d'ordinaire conçus pour les Jötnar. C'était une tenue de géant, alors évidemment, je m'étais senti nu au départ.

VOUS LISEZ
BJÖRSARION - LA TERRE DES GÉANTS (BL)
FantasyLes géants ont bonne mémoire. Ils se souviennent toujours des vieilles convoitises de leurs ancêtres, de tous ceux qui les ont précédés. Alors lorsque leurs yeux se posent sur les jusquiames noires, joyaux de la couronne humaine, leurs vieux désirs...