Chapitre 34

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Des bourrasques sifflantes s'engouffrèrent dans l'église. Père Pascal se dépêcha d'aller refermer la grande porte ouvragée que le vent avait forcée. Son dernier visiteur l'avait sûrement laissée entrouverte. La serrure claqua et les bourrasques furent repoussées. Au même moment, Père Pascal sentit le malaise l'étreindre. Un mauvais pressentiment le guettait et sa foi l'empêcha d'en ignorer l'appel. Il saisit distraitement son chapelet et en égrena les perles de bois tandis qu'il remontait la nef.

Dans son bureau, le téléphone sonna. Il pressa le pas et décrocha.

— Mon père... gémit une femme éplorée. Cédric... Il lui est arrivé quelque chose de terrible. Mon père... Il s'est ôté la vie.

Père Pascal refusa de croire qu'il s'agissait du jeune homme qui venait à sa paroisse le dimanche matin. Ce devait être un autre Cédric, mais certainement pas celui auquel il pensa de prime abord. Il demanda des explications, n'osant réclamer l'identité de son interlocutrice dont la voix chargée de tristesse lui restait inconnue, et comprit qu'un garçon s'était tué la veille. Puis ses craintes se confirmèrent. Il était bien question du Cédric qu'il affectionnait tant, de ce garçon généreux et souriant, et l'idée qu'une aussi belle lumière se soit éteinte l'accabla.

La mère de Cédric ignorait ce qui avait poussé son fils à l'acte et elle implora Père Pascal de lui venir en aide, de lui permettre de comprendre ce qui s'était passé.

— Peut-être que Cédric vous a parlé de quelque chose ? Un problème au lycée, une rupture amoureuse... Mon père, j'ai besoin de savoir. Je n'en dors plus la nuit. Pourquoi ?... Pourquoi mon garçon se serait-il tué ?

Mais le prêtre n'avait aucune réponse à lui donner. Il n'y avait eu aucun signe de détresse dans le comportement du garçon les semaines précédentes, aucune confidence qui laisserait croire que Cédric s'apprêtait à commettre l'irréparable.

Soudain, il fut pris d'un doute.

— Permettez-moi de voir votre enfant.

Les pleurs de la femme redoublèrent dans le téléphone. Elle accepta.

Père-Pascal s'enroula dans une épaisse doudoune, saisit les clés de sa vieille Chevrolet à la carrosserie éprouvée – bleu électrique il fut un temps, désormais grise et parsemée de rouille – et se glissa derrière le volant. Dehors, le vent continuait de souffler et le ciel s'était chargé de nuages, mais toujours pas de pluie.

L'homme roula prudemment en surveillant les branches des arbres qui s'agitaient au-dessus du pare-brise. Sa voiture était déjà suffisamment abimée, pas la peine qu'un bout de bois ne vienne la cabosser davantage. Il se rendit aux pompes funèbres de la ville. Le gérant l'attendait à l'accueil. Ami de longue date, il avait accepté de lui ouvrir la boutique malgré l'heure tardive. Ce dernier le salua avec déférence et ils se dirigèrent immédiatement vers la chambre funéraire.

— Je dois reconnaitre que je suis surpris, lui confia le gérant tandis qu'ils suivaient un couloir. Une telle sollicitude pour le corps d'un garçon, je ne comprends pas vraiment.

Père-Pascal ne répondit pas, absorbé par ses craintes.

Le corps de Cédric fut exposé, blafard et silencieux. Une marque violacée s'étirait autour de son cou. Père-Pascal imagina l'âpreté de la corde qui l'avait étranglé et retint une grimace de chagrin. Mon pauvre garçon. Il sortit une fiole de sa poche contenant un liquide blanc et en versa plusieurs gouttes sur le front de l'adolescent. Le gérant l'observa faire sans rien dire.

Il fallut plusieurs secondes pour que les gouttes de lait réagissent. Elles bouillonnèrent puis s'évaporèrent sans laisser de trace, si ce n'est une rancœur amère dans le cœur de Père Pascal.

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant