Chapitre 18

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Un simple mouvement, un simple geste, et sa vie se déverserait sur le parquet du salon. Il suffoquerait une poignée de secondes, son œsophage obstrué par le sang, puis ses paupières se fermeraient pour ne plus jamais s'ouvrir.

À cet instant, Clément réalisa qu'il était si difficile d'exister et si simple de mourir. Son esprit s'était absenté, le temps de sa réflexion mais, lorsque la lame commença à découper sa gorge, la douleur le ramena à la réalité. On allait l'exécuter devant son frère et sa sœur, et sûrement que leur tour viendrait après.

— Une dernière volonté ? demanda le croque-mitaine.

Le regard dans le vide, le garçon lui dit très sérieusement :

— Une branlette par Mélissa Valmert. Bon sang, cette fille à des doigts de fée.

Le démon se racla la gorge, confus.

— C'est un peu compliqué à réaliser comme dernière volonté. Tu n'aurais pas quelque chose de plus simple ? Je ne sais pas moi, une cigarette ?

— Si tu en as une, je suis preneur.

Le croque-mitaine attrapa un paquet de Philipp Morris dans la poche de sa veste et glissa une cigarette entre les lèvres de Clément. Il lui tendit la flamme d'un briquet et le tabac s'embrasa.

— Merci.

L'adolescent fuma, le corps immobilisé dans une toile d'araignée géante et la lame de son bourreau sous la gorge. Spectateurs impuissants, Fleur et les autres poussaient des protestations étouffées, la bouche muselée par un bâillon.

— Bien, il est l'heure, décréta le croque-mitaine, moins enjoué qu'il ne l'avait été une minute plus tôt.

Clément hocha la tête et, dans un dernier nuage de tabac, cracha le mégot.

— Si les choses s'étaient passées autrement, nous nous serions bien entendus, toi et moi, avoua le démon. Toh'yé idalma.

Le garçon esquissa un sourire et ferma les yeux. Fleur hurla de rage et le bourdonnement qui s'échappa de son bâillon lui annonça l'imminence de sa mort. C'en était fini de lui.

Ding.

Quelqu'un sonna à la porte. L'écho des carillons synthétiques traversa le manoir et, dans ses rebonds, destitua les démons de leur ferveur.

Ding.

Les carillons revinrent à l'assaut et balayèrent les dernières miettes de leur courage. Un démon poussa un glapissement intimidé. Un autre couina et partit s'allonger sous une table. S'ensuivit un concert de gémissements et la foule, prise de panique, s'éparpilla dans le salon.

— Calmez-vous, c'est certainement une erreur, s'écria le croque-mitaine. Nos sens nous trompent.

— Non, vos sens ne vous trompent pas, bafouilla Clément.

Il avala sa salive et poursuivit.

— Moi aussi, je les sens. Ils sont trois, tous de rang supérieur. Vous feriez bien de partir avant qu'ils ne vous attrapent.

Après avoir scandé qu'il n'y avait rien à craindre, le croque-mitaine ordonna à l'un de ses sbires d'aller ouvrir la porte d'entrée. Le démon qu'il sollicita le scruta un instant. C'était un corps nu et sans tête, dont le ventre arborait trois visages placés en triangle. Ses six yeux implorèrent son indulgence.

— Dépêche-toi, ordonna le croque-mitaine dans un claquement de doigts.

Le démon disparut dans le couloir menant à l'entrée. Ses pas devinrent hésitants à mesure qu'il approchait du hall. Une fois arrivé devant la porte, il ouvrit et inspecta la cour. Finalement, il retourna auprès de ses semblables, bredouille.

Le croque-mitaine afficha un sourire réjoui.

— Je vous l'avais bien dit, il n'y a rien...

Le démon aux trois visages explosa. Son corps se répandit aux quatre coins de la pièce et du sang noir tapissa les murs.

Les enfants Foladel surgirent dans le salon.

— Bonsoir, lança chaleureusement Valentine.

Il y eut un moment de silence. Pétrifiés d'effroi, les démons contemplèrent les ombres qui flottaient au-dessus des trois visiteurs et personne ne songea à fuir. À quoi bon. S'ils se laissaient faire, s'ils attendaient calmement leur mort, alors peut-être serait-elle plus douce. Car ils n'étaient pas dupes. Des démonistes pareils ne s'embêtaient pas à capturer. Ils tuaient.

Emprisonnée dans sa camisole invisible, Maeva étudia les mines déconfites des démons autour d'elle. Les bras ballants et le dos voûté, ils avaient adopté la posture de ceux qui subissent. Elle les avait combattus une seconde plus tôt et, pourtant, l'abattement qu'ils témoignaient la déstabilisa. Contre toute attente, elle éprouva de la pitié pour eux.

— Je dois avouer que je les préfère un poil résistant, lança Valentine.

Elle et ses frères parcoururent le salon et le massacre commença. À l'aide de son Limier, Théo enfonça son bras dans le buste d'un démon et retira son cœur palpitant. De son côté, Gabriel récupéra une épée et distribua la mort par des coups secs tandis que Valentine décapita une médusa d'un coup de poing.

Une à une, les dépouilles s'allongèrent sur le parquet et la mort dilua l'éclat de leurs iris jusqu'à les ternir définitivement.

Spectateur impuissant, le croque-mitaine alluma une cigarette, l'humeur morose. Rapidement, il se retrouva être le dernier survivant et les enfants Foladel se regroupèrent autour de lui.

— Un croque-mitaine, soupira Théo. Je parie que c'est toi qui as organisé cette mutinerie. Les démons de ton espèce sont les plus fourbes.

— À genoux, aboya Valentine.

Le démon retira sa veste de smoking et la plia sur la table du salon.

— Dépêche-toi, on n'a pas que ça à faire, gronda Théo.

Malgré son avertissement, il continua de se déshabiller et déboutonna sa chemise pour récupérer la chaîne en or qui pendait autour de son cou. Quand le bijou fut entre ses doigts, il s'agenouilla et l'admira un instant.

Agacé, Théo s'avança et lui attrapa la tête. Dans un dernier regard, le croque-mitaine adressa un clin d'œil à Clément Malcius, puis on lui vrilla violemment la nuque. Ses cervicales émirent un craquement sec et le corps du démon s'effondra.

Sans trop savoir pourquoi, Clément pleura.

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant