Chapitre 30

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Avec dix minutes d'avance, Félix entra dans sa classe et profita de l'absence de ses camarades pour s'installer au fond. Il n'était pas d'humeur bavarde ce matin et le fit savoir en déposant son sac à dos sur la chaise libre à côté de lui. La sonnerie retentit dans l'établissement et une flopée d'élèves investit la salle. Visiblement, son message était passé. Personne ne s'assit à côté de lui. Personne, sauf Maeva, qui éjecta son sac à dos d'un coup de pied.

— Je peux m'asseoir ?

Sans attendre de réponse, elle se posa sur la chaise. Mme Taudier, le professeur, salua les lycéens et prit place derrière son bureau.

Dans sa vision périphérique, Félix releva que Maeva ne le quittait pas des yeux. Lorsqu'il décida de croiser son regard, il s'aperçut qu'elle lui souriait. Embarrassé, il lui sourit à son tour, un peu gêné.

Soudain, le garçon se crispa. Depuis quand Maeva souriait-elle ?

— Tu vas bien ? hésita Félix.

— Oh, oui. Je vais très bien, Félix.

Un frisson le traversa. Elle avait sèchement prononcé son prénom et continuait de le lorgner d'un drôle d'air. Le professeur commença son cours et convia les jeunes gens à sortir leur manuel. Félix en profita pour interrompre leur échange troublant. Qu'est-ce qui lui prenait, ce matin ? Tandis que les élèves recopiaient les premières lignes d'un chapitre sur la Première Guerre mondiale, Maeva attrapa son livre d'histoire et l'écrasa sur le crâne de Félix. Un bruit sourd retentit et toutes les têtes pivotèrent dans leur direction.

— Excusez-moi, madame. Une guêpe m'embête, expliqua la fille.

Mme Taudier ne dit rien et retourna à son tableau.

Les larmes aux yeux, Félix serra les dents pour supporter la douleur.

— T'es complètement timbrée, marmonna-t-il. Qu'est-ce qui te prend ?

Toujours souriante, elle le gifla d'un coup de livre. Le contact de la couverture plastifiée sur sa peau provoqua un claquement sec et les marionnettes devant eux, tirées par les fils de leur curiosité, se retournèrent à nouveau.

— Moins de bruit, rouspéta une fille au premier rang.

— Maeva, Félix, il y a un problème ? s'enquit le professeur.

— Pas le moins du monde, la rassura Maeva.

Avec l'espoir d'assister à une dispute – ce qui représentait un divertissement des plus intéressants en comparaison du chapitre qu'ils étudiaient –, les élèves les scrutèrent encore un peu. Cependant, Maeva se contenta de leur sourire à eux aussi, ce qui n'avait rien de rassurant quand on voyait ce qu'elle venait de faire subir à Félix.

— Arrête ça, fulmina le garçon. T'es devenue folle ?

— C'est moi qui suis folle ? Ou le gros con qui ravage sa chambre et manque d'y passer ?

L'inquiétude poignait dans sa voix, pourtant Félix ne retint que les reproches et le masque de sa colère.

— Excuse-moi, dit-il dans un souffle.

— Arrête de t'excuser et comporte-toi en personne responsable.

— Facile à dire quand on ne s'inquiète que de soi, cracha-t-il.

Félix ne s'encombra plus d'être discret et tous l'entendirent.

Une gifle élancée lui fouetta la joue. Maeva se leva, rassembla ses affaires et quitta la classe. Sans chercher à la rattraper, le garçon resta sur sa chaise, la mâchoire crispée. Il affronta le regard des autres élèves sans sourciller, un air de défi dans les yeux. Un adolescent assis deux rangées plus loin le méprisa en secouant la tête et Félix tomba une fois de plus dans le piège de sa colère. Intérieurement, il intima à son Keïtos de lui casser un doigt. Le démon récusa l'autorité de son maître, mais sa détermination le rappela à l'ordre.

Casse-lui un doigt.

Le démon allait s'exécuter lorsqu'un voile sombre estompa la lumière dans la salle de classe. Surpris, les étudiants installés près des fenêtres observèrent le ciel à la recherche d'un nuage qui masquerait le soleil, mais le plafond d'azur n'aurait pu être plus dégagé. Félix, en revanche, ne prit pas la peine de lever la tête car ce qui avait plongé la pièce dans la pénombre se trouvait devant lui. Valentine avait invoqué son Thorne et sa silhouette ténébreuse, à l'instar d'un trou noir, aspirait la lumière.

Subitement, l'estomac de Félix se crispa et la douleur le fit tomber de sa chaise.

— Madame, je crois que Félix a besoin d'aller à l'infirmerie, lança Valentine en se levant.

Elle empoigna le garçon par le col de son tee-shirt et l'aida à se relever.

— Décidément, ce n'est pas votre jour monsieur Malcius, releva le professeur.

Valentine le traîna dans le couloir. Elle le tint fermement pour l'empêcher de s'enfuir et l'emmena dans les toilettes des filles. Arrivée dans la pièce, elle le jeta au sol et verrouilla la porte.

— Tu m'expliques ? gronda la jeune femme. Tu sais ce qui arrive aux petits cons qui s'en prennent à des Ignorants ?

Étalé par terre, les entrailles encore mutilées, Félix essuya un filet de salive qui s'écoulait sur sa joue.

— Co... Comment tu as su..., parvint-il à formuler.

— Tu pues l'hostilité à des kilomètres ! Qu'est-ce qui t'arrive, bon sang ?

Recroquevillé en chien de fusil, Félix poussa un hurlement de rage. Il avait le teint rouge, les veines du cou gonflées et le corps secoué de spasmes. Autant de signes qui alertèrent Valentine. Elle s'agenouilla et saisit sa tête pour l'ausculter. Elle discerna des nervures blanches à l'intérieur de ses oreilles, semblables à des racines qui se faufilaient sur son cartilage. Sourde à ses gémissements, elle lui tira les cheveux pour mettre en évidence ses racines et découvrit que certaines étaient transparentes.

— Toi, tu es allé fourrer ton nez là où il ne fallait pas.

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant