Félix pénétra la structure gigantesque. À l'intérieur de ses entrailles – vaste réseau de couloirs, de pièces connectées les unes aux autres par des passages étroits, et d'antichambres majestueuses – il déambula sans trop savoir où il allait. L'école du Bois Sombre l'avait englouti et il en oubliait presque qu'il existait tout un monde au-delà de ses murs en pierre.
Le garçon s'arrêta au milieu d'un couloir, effleuré par des élèves qui passaient par-là, les bras chargés de livres. Un drôle de sentiment l'avait gagné sans qu'il n'en trouve l'origine. Il tourna sur lui-même, observant les tableaux accrochés aux murs. Le plus proche représentait un homme à la mine sérieuse, le crâne chauve et la barbe taillée en bouc. Félix ne voyait que son buste mais songea que le bonhomme devait être de petite taille. Esteban Franckforche – L'homme qui domina la bête, lut-il. Sur le tableau d'à côté, une grosse femme à la tunique déchirée brandissait une hache, postée sur le rebord d'une falaise. Elle défiait un ciel orageux avec son arme tandis que des vagues déchainées se fracassaient sur la roche en contrebas Béatrice Cralgarde – La femme aux cent têtes coupées.
Félix reprit sa route, absorbé par les peintures à l'huile tantôt portrait, tantôt mise en scène. Il venait de passer devant une œuvre intitulée « Et l'obscurité fut » lorsqu'il releva un détail surprenant. Il n'y avait aucune source de lumière, aucune ampoule, aucune fenêtre ou quoique ce soit capable d'éclairer les lieux, pourtant le garçon y voyait comme en plein jour. L'école était comme balayée par un soleil invisible. Plus surprenant encore, sa lueur bleutée correspondait au petit matin. Or, Félix était entré dans l'école en fin de journée. Il s'expliquait enfin, ce drôle de sentiment qui l'avait étreint un peu plus tôt. Il y avait un décalage horaire entre l'école et l'extérieur !
Félix s'inséra dans un couloir perpendiculaire coiffé d'une voûte, puis tomba sur un rideau de lianes qu'il écarta d'une main De l'autre côté, il trouva un grand jardin intérieur peuplé de plantes et de fleurs colorées. Des spécimens inconnus étaient suspendus au plafond et jetaient leurs tiges dans le vide. Du gazon recouvrait le sol d'un duvet moelleux.
Un pont arqué reliait les deux accès et passait au-dessus d'une rivière. En son centre, le pont s'élargissait en une plateforme circulaire occupée par un banc. Félix vit qu'un adolescent s'y était installé. Il lisait un livre, jambes croisées. Il avait les ongles de la main gauche – et seulement ceux de la main gauche – vernis en mauve et son visage fin était arrangé par du maquillage.
Félix avança sur le pont sans le quitter du regard. Il avait des cheveux mi-longs – bruns aux trois quarts et terminés par des boucles blondes – qui lui tombaient sur les épaules. Il portait un manteau en laine vert bouteille avec des épaulettes, et le vêtement était vulgairement ouvert sur un débardeur noir. Un pantalon en tweed et des bottes en cuir complétaient sa tenue. Il ressemblait à un punk tout droit sorti d'un clip de rock.
L'adolescent abandonna son livre pour braquer ses orbes opalins sur Félix.
— Je les abîme trop vite, alors je ne les vernis plus, dit-il d'une voix calme.
La douceur de ces quelques mots enveloppa Félix d'une sensation de bien-être.
— Mes ongles, insista l'inconnu.
Il leva la main droite.
— À chaque fois, le vernis s'en va.
— Ah, répondit Félix, hésitant.
— Ah, comme tu dis. Ah, comme je pourrais dire, puisque je t'attends depuis une éternité.
— M'attendre ? Vous m'attendiez ?
— Trêve de formalités. Tutoie-moi. Je m'appelle Namibé. Nami, si tu préfères. Dépêche-toi de me suivre si tu ne veux pas rater le spectacle.
Il referma son livre dans un claquement et se leva pour partir. Félix le suivit, traînant sa valise derrière lui. Au détour d'un couloir, ils s'arrêtèrent devant une porte en bois. Même s'il ignorait ce qui se cachait derrière, Félix sut qu'elle renfermait quelque chose de grandiose. Ça se sentait dans l'air, ça lui donnait des frissons.
— Bienvenue à l'école du Bois Sombre, l'accueillit Namibé en tirant sur les poignées.
Des acclamations survoltées éclatèrent. Félix et le garçon avancèrent jusqu'à une rambarde et baissèrent les yeux pour observer une arène de gladiateurs digne de la Rome antique. Des milliers d'élèves et de professeurs s'étaient rassemblés pour hurler leur enthousiasme et brandir le poing. Au centre de l'arène, deux adolescents – un garçon et une fille – se faisaient face, immobiles et la tête fièrement levée. Un bandana frappé d'un sigle était noué autour de leur bras.
— Le blason de leur famille respective, expliqua Namibé en portant une cigarette à ses lèvres.
Il embrasa le tabac d'un claquement de doigts et cracha un nuage de fumée.
— Isaac Thulbord contre Evie Elzrath. La grande finale.
— Ils vont vraiment se battre ? s'empressa de demander Félix.
Namibé lui offrit un sourire malicieux en guise de réponse.
Le soleil invisible se réchauffa et offrit une lumière plus intrusive. Félix réalisa que l'arène était finalement différente de celles de la Rome antique car elle comportait des rochers, des arbres et des fossés. Il y avait même un point d'eau, pas plus grand qu'une piscine.
Un grand gaillard coiffé d'un chapeau de cow-boy vint à la rencontre des deux adversaires. L'homme s'exprima d'une voix forte et le silence se fit aussitôt.
— Mesdames et messieurs.
Il leva les bras pour embrasser la foule.
— Soixante-douze concurrents se sont affrontés sans relâche dans cette arène, et seulement deux d'entre eux ont surmonté la fatigue et la douleur pour prétendre à la victoire. Aujourd'hui, la famille Thulbord et la famille Elzrath défendent leur honneur sous l'étendard de leurs prédécesseurs.
Félix leva les yeux et découvrit trois étendards suspendus au plafond. Sur le premier, il trouva un scarabée rouge sur fond blanc. Sur le second, un arbre aux branches en flamme et sur le dernier, une tête de cerf surmontée d'une couronne.
— Mesdames et messieurs, que le Berserk fasse son choix !
Après avoir donné des consignes aux combattants, l'arbitre se retira. Quatre hommes se placèrent autour de l'arène et levèrent les mains. Un voile translucide enveloppa l'aire de combat pour protéger les spectateurs.
— À mon coup de sifflet, s'écria l'arbitre une fois retourné dans les tribunes.
Les deux adversaires se fixaient durement, le visage impassible.
Tout à coup, l'arène se tut complètement.
Il y eut un coup de sifflet, puis le combat commença.
Et Félix n'en crut pas ses yeux.
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La Famille Malcius - Tome 1
ParanormalComme le veut la tradition, Félix héritera d'un démon la veille de ses seize ans. Un évènement important que sa famille s'impatiente de célébrer. Pourtant, le garçon est loin de s'en réjouir. L'occultisme n'est pas sa tasse de thé et s'il pouvait se...