La Famille Malcius - Tome 1

Chapitre 44

Félix massa son poignet endolori. Emma l'avait battu àplate de couture pour la sixième fois consécutive. Un peu plus loin, un binômese querellait en élevant progressivement la voix. Maël hésitait quant à la mainà choisir pour le bras de fer et son adversaire perdait patience. 

— Tu écris avec quelle main ?

— La droite, répondit Maël qui étudiait successivement ses mains posées à plat sur le bureau.

— Alors, utilise ton bras droit !

— Peut-être que tu as raison. Néanmoins, je me rappelle que mes ricochets sur le lac de Belgabert étaient plus impressionnants lorsqu'ils étaient tirés de la main gauche plutôt que de la droite. Dois-je en conclure que ma main gauche est plus à même de me faire remporter un bras de fer ?

— On s'en fiche !

— Oui, c'est vrai. On s'en fiche. Quoique... Non, attends...

L'autre secoua la tête, excédé.

Félix profita d'un court répit pour observer ses camarades. Il voulut prendre exemple sur les plus performants, mais ne décela aucune technique ou astuce particulière dans leur façon de faire. Pour lui, ils étaient simplement plus forts au bras de fer que les autres.

Apprendre à déplacer son énergie démoniaque au moment opportun, songea-t-il en se remémorant les consignes du professeur. C'est ce que je fais, pourtant ! La moitié dans un bras, l'autre dans la paume de ma main.

Félix essuya un nouvel échec et ses phalanges s'écrasèrent sur le bureau. Il ne comprenait pas. En quoi Emma était-elle meilleure que lui ? Disposait-elle d'une énergie démoniaque supérieure à la sienne ? Était-ce, en fin de compte, une simple question de puissance ? Une bougie posée sur le bureau du professeur Al Gadour capta son regard. La flamme oscillait et son intensité variait, allongeant sa silhouette ou la rétrécissant. C'est alors que Félix percuta. Il avait mal interprété les explications du professeur. Il ne s'agissait pas de répartir, mais d'alterner !

Cette fois, ce fut Félix qui posa le coude en premier sur le bureau. Emma verrouilla leur main l'une dans l'autre, puis les stylos lévitèrent dans leur paume. La fille opéra un décompte.

— 3, 2, 1...

Plutôt que de partager l'énergie entre son bras et sa paume, Félix la dédia presque entièrement à son effort physique. Le stylo perdit de la hauteur pendant qu'il écrasait le bras de son adversaire sur le bureau, puis se redressa in extremis.

Félix souriait. Il avait enfin réussi.

Emma poussa un gémissement tandis qu'elle serrait et desserrait la main.

— Excuse-moi, j'y suis allé un peu fort, regretta Félix.

— Je vais te massacrer.

Le garçon déglutit.

L'exercice suivit son cours et la victoire des uns et des autres se joua à quelques dixièmes de secondes. Monsieur Al Gadour surveilla ses élèves et conseilla les plus démunis. Même si tous n'appliquaient pas la leçon à la perfection, chacun l'avait en tête et pourrait s'entraîner plus tard.

À la pause de midi, les élèves suivirent leur professeur jusqu'au réfectoire. Félix récupéra un plateau qu'il fit glisser sur des rambardes métalliques. Dans les cuisines, humains et démons s'activaient derrière les fourneaux. Un Cerbère – semblable à celui affronté dans la cave du manoir – crachait du feu dans un cône en acier qui se diffusait dans la tuyauterie pour faire chauffer les casseroles. Un crapaud bipède de la taille d'un homme remuait des oignons dans une poêle, secondé par une jeune femme en tablier. Arrivé au niveau des entrées, Félix examina les assiettes. Une délicieuse odeur de viande grillée flottait dans l'air. Les plats avaient l'air succulents.