Chapitre 28

942 151 13
                                    

Une larme glissa le long de sa joue. Félix pleura sans comprendre qu'il le faisait. Son cerveau pataugeait dans la confusion et refusait d'associer la mort de Cédric à sa soirée d'anniversaire. C'était impossible. On ne pouvait pas fêter son seizième anniversaire et enterrer un ami la semaine suivante. La vie ne pouvait pas être cynique à ce point.

La mère de Cédric arriva dans le hall, un carton dans les mains. Les élèves s'écartèrent pour la laisser passer. Elle venait de vider le casier de son enfant, accompagnée de son mari. Félix resta immobile et observa le couple lutter pour étouffer son chagrin. Cédric n'apprécierait pas de les voir craquer devant ses camarades, c'est pourquoi ils se continrent du mieux qu'ils le purent.

Le carton céda et son contenu s'étala sur le carrelage. La femme ravala un sanglot, les yeux rivés sur les bibelots autour d'elle. Des élèves les aidèrent à rassembler le tout dans une nouvelle boîte et le couple quitta l'établissement.

Félix sentit son cœur s'émietter. Il tourna sur lui-même, haletant, et chercha sa sœur. Fleur émergea de la foule, le visage baigné de larmes. Alors, il sut. Il sut qu'un adolescent était mort parce qu'il avait décidé de fêter son anniversaire. Il sut que ces deux parents devraient surmonter la disparition de leur enfant. Il sut que sa faiblesse l'avait empêché d'agir à temps.

Félix avait tué ce garçon.

*

La directrice du lycée offrit un jour de répit aux élèves pour digérer la triste nouvelle. Félix rentra chez lui, accompagné de sa sœur. En arrivant au manoir, il croisa la mine soucieuse de ses parents. La mère de Max leur avait passé un coup de fil pour leur annoncer la tragédie.

Désireux de s'isoler, Félix se dirigea vers l'escalier.

— J'ai besoin d'être un peu seul, confia-t-il.

Le garçon monta dans sa chambre et ferma la porte à clé. Il s'assit sur son lit, d'abord calme, puis ses pensées s'éparpillèrent. Cédric était mort. Il s'était suicidé. Quelle faille la goule avait-elle exploitée pour le pousser à commettre l'irréparable ?

La goule ? Ce n'est pas la goule qui l'a invité à ta petite soirée. Ne remets pas la faute sur les démons. Le seul responsable, ici, c'est toi ! le fustigea sa conscience.

Sur le rebord de ses paupières s'agglutina sa tristesse. Seul dans cette pièce, Félix s'autorisa à pleurer. Il était las de se retenir, de feindre la force en dissimulant sa détresse. Son corps tressaillit et il libéra sa peine une bonne fois pour toutes.

Dans un espace insoupçonné de son esprit, il perçut l'agitation de son démon. Le Keïtos demandait à apparaître et Félix le libéra. Peut-être l'entité avait-elle honte de partager l'enveloppe charnelle d'un gamin aussi lâche, d'un pleurnichard incapable de réagir lorsque les autres ont besoin d'aide.

L'ombre du Keïtos se dressa au-dessus de ses épaules. Deux bras se détachèrent de sa silhouette fantomatique et l'embrassèrent. Félix se laissa cajoler et continua de pleurer. Mais, tandis que ses maux s'atténuaient, une autre émotion se manifesta dans son cœur. Une colère noire et perfide qui lui donna envie de détruire, de brûler. Félix ressentit le besoin d'écraser pour aller mieux. Pourtant, de tous les exutoires à la peine, celui-ci était de loin le pire.

L'adolescent pensa à la mort, à son ami, à son anniversaire, et serra les dents de rage. La table de chevet en bois, à côté de son lit, se fissura. Une crevasse remonta l'un des pieds puis traversa le tiroir. Le meuble se scinda en deux et s'écroula.

Encore.

Les fenêtres tremblèrent, comme secouées par le vent. Le parquet se souleva en craquant et les lattes se chevauchèrent les unes les autres. De l'eau, laissée dans un pot sur son bureau, s'évapora.

Pour la première fois de sa vie, Félix goûta à la puissance. Tout ce qui se trouvait autour de lui paraissait trop fragile. S'il tendait la main, il touchait. S'il serrait le poing, il brisait.

D'un mouvement du bras, il fit exploser la porte de sa chambre. Une pluie de copeaux de bois se répandit dans le couloir.

Le garçon poussa un rire narquois. Son Keïtos, réduit à l'état de serviteur par le caprice de son hôte, s'agita pour le ramener à la raison et il fallut plusieurs secondes pour qu'un mince éclat de lumière ne vienne percer les ténèbres de sa colère. Doucement, Félix recouvra son calme. Il se trouva idiot de s'être emporté et, constatant les dégâts dans sa chambre, appréhenda la découverte que ses parents feraient en venant ici. Néanmoins, le Keïtos resta paniqué et son ombre dansa dans les airs avec agitation.

— Excuse-moi, je n'aurais pas dû m'emporter, dit-il dans un soupir.

Les marches de l'escalier grincèrent. Ses parents, ainsi que son frère et sa sœur, se figèrent sous le cadre de la porte dévastée.

— Félix, qu'est-ce que tu as fait ? marmonna Matilda, les yeux écarquillés.

— Je suis désolé, je vais répa...

Une douleur aiguë lui traversa le bras. Félix observa une tâche de sang grossir sur la manche de son pull et la blessure se propagea jusqu'à sa poitrine. Une sensation de chaleur glissa sur son ventre et il se sentit tout à coup très fatigué. Juste avant de s'évanouir, le garçon écouta les os de sa main droite se briser, puis l'inconscience l'emporta.

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant