Chapitre 12

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Les fenêtres du manoir scintillaient au milieu des bois. La nuit était tombée pour de bon et transformait la forêt en un océan obscur. Des hiboux hululaient, perchés sur les branches des conifères, leurs griffes acérées prêtes à l'emploi. Au moindre rongeur intrépide, ils fonceraient pour attraper leur repas ambulant.

Il était à peine vingt heures lorsqu'on sonna à la porte. Félix, la tête encore dans les préparatifs, accueillit ses premiers invités.

— Amigo ! s'écria Max en écartant les bras, accompagné de Melvin et Bastien.

Les trois garçons entrèrent dans le hall, les yeux grands ouverts pour mieux observer les bibelots entreposés sur les meubles. Dehors, ils avaient pris un moment pour contempler la demeure en pierre et son jardin éclairé par des réverbères à gaz. Ils avaient été impressionnés et effrayés à la fois. Un véritable décor d'Halloween, un mois en avance.

— Salut les gars, lança Félix, très heureux d'inviter ses copains chez lui pour la première fois.

Max le faux courageux, comme le surnommaient ses amis, était un garçon enrobé qui parlait beaucoup mais agissait peu. Un jour, il avait fanfaronné à l'école en prétendant qu'il allait casser la figure d'un élève qui l'avait moqué pour son poids. Sauf qu'au moment de la rencontre, Max s'était mis à pleurer et avait fait demi-tour en courant. On ne l'avait pas revu pendant deux jours.

Bastien, lui, était une force tranquille. Un adolescent calme et discret qui, par son air un tantinet autoritaire, inspirait le respect. Félix appréciait discuter avec lui pour sa maturité.

Et enfin, il y avait Melvin le rêveur, une tête en l'air qui pouvait foncer dans un mur sans même l'apercevoir. Félix et les autres lui avaient déjà demandé s'il n'avait pas un problème de vue qui l'empêcherait de mesurer les profondeurs et les distances, mais il n'en savait rien.

— On dirait la maison d'un vampire ! s'exclama Melvin en tournant sur lui-même.

Bastien se dépêcha de soulever un encensoir qui pendait dans les airs et Melvin passa dessous sans même s'en rendre compte.

Clément et Fleur quittèrent la cuisine où ils terminaient de préparer l'apéritif et vinrent saluer les adolescents.

— Ça y est, la bande des casse-cous est réunie, sourit la fille.

Max se mit à rougir. Il adorait lorsque Fleur les appelait ainsi. Casse-cou, ça sonnait bien à ses oreilles, ça lui donnait un côté aventurier.

— Vous avez une très belle maison, complimenta Bastien.

— Elle est un peu spéciale, comme vous pouvez le remarquer, ajouta Clément.

— Et encore, on a essayé d'enlever un maximum d'objets bizarres, marmonna Fleur.

Max déposa à ses pieds le sac de sport qu'il tenait et l'ouvrit. Il en sortit des canettes de bière et une bouteille de vin.

— C'est tout ce que j'ai pu piquer à mon père.

Melvin imita son camarade et enleva son sac à dos. À l'intérieur se trouvaient des feux d'artifice, des fumigènes et des pétards.

— Ouah, s'alerta Clément. Pourquoi c'est Melvin qui se charge de la pyrotechnie ?

— Si tu veux, je t'appellerai au moment de les allumer, essaya-t-il de le rassurer.

Bastien avait apporté un simple sac en papier duquel il retira un bouquet de fleurs.

— Je pensais que vos parents seraient-là, bredouilla-t-il, gêné. Je voulais les remercier.

Ne sachant pas quoi en faire, il les tendit à fleur. Comme s'il lui avait communiquée son embarras, la jeune femme se mit à bafouiller.

— Meuh...Merc... Merci.

Une mèche s'échappa de son chignon et vint caresser sa joue.

— Je vais les mettre dans un pot, dit-elle en s'éclipsant dans la cuisine.

Ses frères échangèrent un regard confus.

Max envoya un coup de coude dans le flanc de Bastien.

— Tu savais très bien que leurs parents étaient absents, avoue, l'accusa-t-il d'un air mauvais.

Son ami allait se justifier quand un claquement sec retentit tout près. Des volutes de fumée s'élevèrent dans le hall et une odeur de poudre se répandit. Tous se tournèrent vers Melvin qui feignait de s'intéresser à une amphore posée sur une étagère.

— Melvin, soupira Clément. Où tu veux, mais pas à l'intérieur.

L'intéressé hocha la tête d'un air désolé.

— Bien, se réjouit Félix en tapant dans ses mains. Maintenant que nous sommes réunis, je vous propose qu'on termine d'installer la décoration. Venez dans le salon.

Ses camarades le suivirent, captivés par les reliques disposées çà et là, les tableaux inquiétants où figuraient des visages renfrognés et les statues qui, parfois, semblaient plus vraies que nature. Max s'approcha d'un homme en bronze à taille humaine. Il était affublé d'un chapeau melon et tenait une canne dans sa main droite. Pour rigoler, le garçon le boxa en arrêtant ses coups au dernier moment.

— Bam et là, crochet, uppercut et K.O !

Amusés par la scène, les enfants Malcius partagèrent la même pensée.

Si seulement tu savais ce que contient cette statue, tu ferais moins le malin.

Dans le salon, une boule en verre avait été accrochée au plafond et projetait une lueur palpitante sur les murs. À l'intérieur, de drôles de flammes dansaient au ralenti.

— Qu'est-ce que c'est ? questionna Bastien.

— Oh, une simple lampe à effet, répondit Félix.

Avec un feu follet à l'intérieur, songea-t-il.

Ça lui avait fait de la peine lorsque lui et Clément avaient pourchassé la petite créature dans la forêt et qu'ils l'avaient enfermée dans le bocal. Alors, pour soulager sa conscience, il lui avait demandé son prix pour une soirée de lumière. La créature avait longuement réfléchi et ce fut Clément qui trouva de quoi la rétribuer.

— Tout ce qui vous intéresse, c'est de brûler. Pas vrai ? lui avait-il demandé.

Le feu follet avait hoché de la flamme.

— Fais-nous ton plus beau jeu de lumière en échange d'une bouteille de gaz que je t'apporterai dans la forêt demain soir. Comme ça, tu pourras frimer devant tes camarades.

Et la créature avait accepté.

Félix saisit la télécommande du home cinéma et lança un album de pop.

— Allez, activons-nous. Les autres vont arriver d'une minute à l'autre !

*

Dans la cave, le croque-mitaine continuait de remuer dans sa fiole en cuivre. Le sceau en sucre incrusté dans le métal s'effritait petit à petit et, bientôt, lui aussi pourrait rejoindre la soirée qui se préparait au-dessus de sa tête.

Quel con, ce gamin, de s'être trompé entre le sel et le sucre.

Au moins, il n'aurait pas à se méfier de lui une fois sorti. Non, ce qui allait lui poser problème, c'était cette fille et son Oculus. Il lui faudrait un coup de main pour en venir à bout.

— Il y a des affreux par ici ? hurla le croque-mitaine dans sa prison minuscule.

Tout autour de lui, des centaines de fioles s'entrechoquèrent en tintant.

Un sourire cruel s'installa sur la face répugnante du démon.

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant