Chapitre 19

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Après avoir été libéré des toiles d'araignées, Clément récupéra discrètement la chaîne en or que le croque-mitaine avait serrée entre ses doigts avant de mourir. Elle était en graines de café et comportait un pendentif à clapet. Il fourra le bijou dans sa poche et partit embrasser sa sœur et son frère. Les Malcius s'étreignirent fort pour se témoigner leur amour et le soulagement de tous se retrouver sains et saufs. Avec sarcasme, Théo les applaudit en faisant couiner le cuir de son perfecto.

— On a le droit à un câlin, nous aussi ? Je vous signale que si vous êtes encore en vie, c'est grâce à nous.

Fleur se détacha de ses frères et considéra les Foladel avec suspicion.

— Comment saviez-vous que nous étions en danger ?

Tandis qu'elle grattait le sang séché sur ses ongles, Valentine leur confia qu'elle avait reçu un message une heure plus tôt, l'invitant à rejoindre l'anniversaire de Félix. Elle s'était donc apprêtée puis avait convié ses frères à la suivre jusqu'ici.

— Qui t'a envoyé ce message ? s'enquit Félix.

— Hum...

Elle sortit son téléphone portable et consulta son compte messenger, directement relié à son profil Facebook.

— Max, dit-elle finalement. Étant donné l'illisibilité du message et l'heure à laquelle je l'ai reçu, j'imagine qu'il devait être bien éméché. Mais d'ailleurs, où sont les invités ?

Les Malcius échangèrent un regard stupéfait. D'une même voix, ils murmurèrent :

— Le labyrinthe.

— Il faut nettoyer le salon en vitesse, s'empressa d'ajouter Fleur.

Enveloppé dans sa veste en tweed, Gabriel tira ses cheveux noirs en arrière et proposa son aide. Fleur le considérait comme le plus normal de sa famille, c'est pourquoi elle accepta.

— Merci, marmonna-t-elle.

Gabriel ferma les yeux. Un nuage, noir et dense comme une nuit sans lune, se déploya sur ses épaules. Il n'y avait aucun détail dans sa matière fantomatique, aucune particularité. C'était une simple écharpe de brume qui se déposa sur sa nuque.

— C'est la première fois que j'en vois une, songea Clément à voix haute.

— Qu'est-ce que c'est ? l'interrogea son frère.

— C'est une sorcière qui, après sa mort, a été transformée en démon. Les sorcières sont des entités très rares qu'il est difficile de supporter, même pour un démoniste expérimenté.

— Pourquoi ça ?

— Pour la simple et bonne raison, petit-frère, que les sorcières sont réputées pour leur grande beauté, et que leur hôte sont toujours des hommes. Elles usent de leur charme pour diminuer leur force d'esprit, après quoi elles prennent possession de leur corps.

— C'est horrible, grimaça Félix. Qui peut bien vouloir d'un démon pareil ?

Clément haussa les épaules. Lui, ça ne l'aurait pas dérangé, même si son esprit aurait flanché dès les premiers instants.

Une pluie de cheveux roux s'écoula du nuage et glissa sur l'épaule de Gabriel. Des doigts fins s'insinuèrent dans son cou et lui caressèrent la peau. Dans le sillage de son rire envoûtant, la sorcière se dévoilait peu à peu.

Là où Félix et Clément auraient rougi jusqu'aux oreilles, Gabriel, lui, restait impassible. D'une voix sans équivoque, il ordonna :

— Débarrasse-nous des corps.

La sorcière pesta et retourna dans son nuage. Les cadavres de démons se désagrégèrent et formèrent des tas de poussière. D'un geste du bras, Gabriel commanda une fenêtre qui s'ouvrit et les résidus se dispersèrent dans la nuit.

— Je n'ai vu que sa main, mais je suis déjà amoureux, rêvassa Clément.

Le groupe s'activa pour ranger le salon. Des tableaux avaient été éventrés, des meubles renversés et des vases brisés. Les enfants Malcius devraient trouver une sérieuse excuse avant le retour de leurs parents, sans quoi ils passeraient un mauvais quart d'heure. Quand le manoir retrouva un semblant d'harmonie, Félix et Maeva prirent congé et se posèrent dans la cuisine.

Maeva attrapa la main de Félix. Avant même qu'elle n'ait parlé, le garçon s'excusa. Pour tout. Pour ce combat, pour le danger, pour le sang sur ses mains. Ses paroles s'accéléraient et ses yeux glissaient sur le parterre, comme si le carrelage lui donnait la liste de toutes les choses pour lesquelles ils devaient se faire pardonner.

— C'est de ma faute et...

Une gifle claqua sur sa joue.

Le cerveau de Félix opéra un retour à la réalité.

— Pourquoi tu m'as giflé ?

Maeva posa les mains sur son cou et se rapprocha pour l'embrasser. Ils s'apprêtaient à échanger leur premier baiser quand Melvin leur rentra dedans. Félix, qui avait conservé son équilibre, eut le réflexe chevaleresque de retenir sa partenaire par la taille. Son camarade, en revanche, n'eut pas le même privilège et fonça tête la première dans un meuble où les assiettes étaient rangées.

— Aïe, gémit-il en titubant.

Il chancela sur quelques mètres et se soutint à la table de la cuisine.

— Melvin ?

L'adolescent poussa un hoquet et leva un regard fatigué.

— J'ai trouvé... la récompense dans le labyrinthe, articula-t-il difficilement.

Il leva une lampe torche poussiéreuse devant lui.

— C'était ça, la récompense ?

Nouveau hoquet. Félix et Maeva prirent ça pour un oui.

Bastien et Max arrivèrent à leur tour. Si Melvin avait l'air mal en point, ce n'était rien en comparaison du reste de la bande. Ils étaient ronds comme des queues de pelle. Bastien avait cassé le verre de ses lunettes et ne restait plus que les branches métalliques sur son nez. Max avait déchiré sa chemise, sûrement en se frottant aux sapins du labyrinthe.

Le reste des invités termina de rentrer dans le salon et la soirée reprit de plus belle, la musique portant les corps maladroits sur la piste de danse. Malgré le brouhaha, Félix ne pensait plus qu'à une chose. S'isoler avec Maeva et reprendre là où ils avaient été interrompus. Peureux à souhait, il n'en fit rien et se contenta de lui adresser un sourire gêné. Si seulement il avait eu le courage de lui exprimer son désir, alors il aurait su qu'elle aussi partageait le même.

Les festivités se terminèrent aux alentours de six heures. Les invités partirent au compte-gouttes, récupérés par leurs parents qui s'étaient levés tôt pour venir les chercher. Après une demi-heure, il ne resta plus personne, à l'exception des Foladel et de Maeva.

Fleur ouvrit la trappe de la cave et pénétra le sous-sol pour constater les dégâts causés par les démons. Les fioles – celles dont ils s'étaient échappés – étaient renversées sur le sol, mais à part ça, rien n'avait été dégradé. Elle les récupéra et les entreposa sur une table.

Par acquit de conscience, Fleur compta le nombre de démons qu'ils avaient éliminés, puis compara avec la quantité de fioles ramassées. Lorsqu'elle termina son calcul, une décharge la traversa de la tête aux pieds.

Ils en avaient tué dix-sept.

Pourtant, elle avait récupéré dix-neuf fioles vides.

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant