Chapitre 32

862 130 19
                                    

— Donc, si je comprends bien, vous m'avez pendu par les pieds pour que le poison sorte par une entaille sur mon crâne ? résuma calmement Félix.

Fleur et Valentine ne s'étaient pas contentées de le pendre par les pieds. Elles l'avaient emmailloté dans une corde pour éviter qu'il ne se libère durant le rituel et l'avaient suspendu à une poutre dans le grenier.

— À quelque chose près, oui, confirma Fleur.

— Libérez-moi ! s'égosilla Félix. Vous commencez vraiment à me faire chier avec tous vos rituels à la con !

Il gesticula dans les airs, le corps enroulé dans la corde tressée, et son agitation fit tanguer son cocon, si bien que sa tête frappa contre une armoire. Baguenaudé par son élan, il encaissa de nouveaux coups jusqu'à perdre de la vitesse et rester hors de portée des meubles entreposés tout autour.

— Surtout, ne m'aidez pas !

Valentine et Fleur, qui s'étaient contenues jusque-là, rirent aux éclats et s'en trouvèrent gênées de partager cette euphorie. Les événements ne cessaient de les rapprocher et effaçaient la rancœur qui s'était établie entre elles.

En arrivant dans le manoir, les deux filles avaient expliqué la situation à Félix. Naïvement, elles avaient pensé que le garçon se laisserait faire sans rechigner. Après de longues protestations de sa part, Valentine l'avait endormi.

— Ton frère est vraiment une chochotte, s'était-elle permise.

Par un soupir, Fleur avait partagé son avis.

Une demi-heure plus tard, Félix s'était réveillé et une drôle de sensation l'avait assailli. Une sorte de gueule de bois, mais sans la fête qui va avec.

— Arrête de gesticuler, lui ordonna Fleur en brandissant un couteau.

— Non, Fleur ! Si tu m'aimes, repose ce couteau.

— Du chantage affectif, pouffa Valentine. Entaille-le jusqu'à l'os pour la peine.

Félix poussa un couinement plus proche de celui d'un cochon surpris que d'un homme apeuré. Fleur s'approcha et, d'un mouvement vif, traça une entaille sur son cuir chevelu. Des perles pourpres s'échappèrent de la plaie et s'écoulèrent dans une bassine métallique en des ploc-ploc discontinus. Valentine attira l'attention de sa camarade et lui suggéra de jeter un œil aux gouttes de sang. Celles-ci grouillaient dans le récipient et formaient de petits êtres, pas plus grands que des fourmis, qui se chamaillaient en s'envoyant des coups de poing.

— C'est répugnant.

Lorsque Félix termina de se purger, sa sœur le libéra et l'aida à s'asseoir. Il était blanc comme un linge et tenait à peine sur ses jambes. Valentine effectua un aller-retour à la cuisine et lui apporta de quoi se restaurer.

Malgré son épuisement, le garçon trouva suffisamment de force pour parler.

— Je vous déteste, toutes les deux.

— Tu ferais bien de nous remercier. Grâce à nous, tu as perdu ta tronche de pitbull enragé.

Assis en tailleur sur le parquet poussiéreux, Félix exprima sa lassitude par un soupir. Il était barbouillé, nauséeux, et n'avait aucune idée de l'endroit où il se trouvait. Le toit biseauté, les poutres au plafond et les fenêtres basses lui suggérèrent qu'il se tenait dans un grenier. Une lumière de fin de matinée s'engouffrait par les ouvertures et caressait les meubles et les antiquités entassés de partout. Face à ce barrage de bric et de broc, il parvenait à peine à discerner le mur du fond. Le moindre espace était occupé, aussi bien en largeur qu'en hauteur, et le chemin qui permettait de traverser ce désordre était si étroit qu'on se demandait si sauter par la fenêtre n'était pas une décision plus sage que de sinuer entre les armoires branlantes. Félix estimait que ses parents entassaient trop de bibelots au manoir mais, en observant ce grenier, il réalisa que le syndrome de Diogène était une pathologie commune à tous les démonistes. 

— C'est à vous, tout ça ? s'enquit Félix.

Valentine affirma.

— Oui. Mes parents tenaient absolument à ce qu'on emporte les meubles. Enfin, quand je dis « on », je parle des démons bien sûr, rectifia-t-elle.

Il remarqua une bibliothèque dans le gourbi. Des livres à la tranche craquelée s'alignaient les uns derrière les autres et le garçon pensa y trouver un ouvrage qui lui permettrait de se renforcer rapidement. Selon lui, tout ce qui touchait de près ou de loin à la famille Foladel inspirait la puissance.

Il se hissa sur ses jambes et accéda à la bibliothèque pour lire les titres.

— Le Seigneur des anneaux, le retour du roi ? déchiffra Félix avec déception.

— Une édition limitée. Ma mère y tient comme à la prunelle de ses yeux.

Il étudia la tranche d'un autre livre juste à côté.

— Twilight ?

— Ah... laissa-t-elle échapper. Celui-là appartient à Théo. Ne lui dites pas que je vous l'ai dit.

Félix se détourna de la bibliothèque.

— Vous n'avez rien sur la démonologie ? Je ne sais pas moi, les démons pour les Nuls ?

— J'ai mieux que ça, lui répondit mystérieusement l'adolescente.

Lorsque Félix était endormi, Valentine et Fleur s'étaient retrouvées en tête à tête une bonne demi-heure. Elles avaient transporté le corps du garçon comme l'auraient fait un meurtrier et son complice, et ce dans un silence total. Fleur, qui n'avait aucune envie de converser avec la jeune femme, avait tout de même profité de l'instant pour lui poser une question qui la taraudait depuis que Félix avait exprimé son désir de reprendre son apprentissage démoniaque. Le souhait du garçon avait surpris toute la famille, qui plus est Fleur. Félix détestait les démons depuis qu'il savait marcher. Pire que ça même, il en était terrorisé. Enfant, il mangeait peu, parlait sans trop d'enthousiasme et restait cloîtré dans sa chambre. Des signes qui n'avaient pas échappé à la vigilance de ses parents. Ces derniers avaient cherché l'origine de son malaise, mais sans succès. Harcèlement scolaire ? Fleur aurait cassé le nez à quiconque s'approcherait trop brusquement de son petit frère. Un adulte malintentionné ? Marc avait fait suivre Félix par Groggy et Bogzy, deux démons assassins qui se seraient fait un malin plaisir de rapporter la tête du malheureux sur un pic. Un décès dans la famille ? Personne n'était mort chez les Malcius depuis plus de trente ans, même la mère de Marc du haut de ses quatre-vingt-quatorze ans (au plus grand regret de Matilda). Non, toutes les pistes exploitées les ramenèrent au point de départ. Puis, un beau soir de pleine lune, Matilda s'était réveillée en panique. Une idée saugrenue lui avait traversé l'esprit juste avant qu'elle ne s'endorme. Et si leur enfant... ? Après une discussion avec Félix, le verdict fut sans appel. Le garçon était démonophobe. Ça leur avait mis un sacré coup au moral.

— Mieux que ça ? Qu'est-ce que tu entends par-là ? demanda Félix, intrigué.

— Il existe un endroit où tu apprendras ce qu'aucun livre ne peut t'enseigner. Mon petit Félix, il est temps d'aller à l'école. La vraie, insista Valentine.

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant