Le Contra... Le Contra... se répétait le garçon tandis qu'il suivait les élèves de sa classe dans un escalier en colimaçon. Un surveillant de l'école les accompagnait et leur attribuait des chambres. Maël alpagua Félix et lui demanda s'ils pouvaient en partager une ensemble.
— Mon sommeil est calme. Jamais il ne m'est arrivé de ronfler et je suis un compagnon de chambre fort organisé.
— Avec plaisir, lui dit Félix.
— Tu es un homme bon.
Ils déposèrent leurs valises dans une pièce étroite avec un lit superposé et deux bureaux. Maël se dirigea immédiatement vers la fenêtre. Cette dernière était mal isolée et laissait échapper un sifflement. Il l'ouvrit pour contempler la vue.
— La vache. C'est drôlement haut !
Félix le rejoignit pour admirer le paysage. Une forêt protégée par les montagnes s'allongeait en un couloir interminable, le tout sous un soleil d'après-midi. À l'intérieur de l'école, en revanche, il devait être près de vingt heures et les lampes à pétrole avaient remplacé la lumière fantôme – surnom trouvé par Félix et Maël pendant le cours de monsieur Al Gadour –.
— D'où est-ce que tu viens ? demanda Maël en se laissant tomber sur une chaise.
— Saint-Mérand, répondit Félix, accoudé au rebord de la fenêtre.
— Saint-Mérand ? C'est un drôle d'endroit pour un démoniste. Moi, je vis dans une bourgade nommée Pauniatre, au sud-ouest du pays, près de la mer.
— Tu as utilisé un puits pour venir ici ?
— Un puits ? Non, j'ai pris le train, puis un taxi.
Je savais que ma famille était ravagée, songea Félix.
Les deux garçons discutèrent encore un instant avant que la fatigue ne les engourdisse. D'un commun accord, ils fermèrent les volets et se couchèrent. Aussitôt endormi, Félix fut ballotté par les remous d'un cauchemar houleux. Il se voyait courir dans les couloirs de son lycée, bousculé par des élèves qui refusaient de s'écarter de son chemin. Parmi tous les visages qu'il croisa, aucun ne lui était familier. Il fit le tour de l'établissement et chercha Fleur, Bastien, Melvin et Max, sans succès. Il finit par trouver Maeva, agenouillée au milieu d'un couloir et les joues baignées de larmes. Il s'assit auprès d'elle et posa une main sur son épaule.
— Maeva ?
Prononcer son prénom le réveilla. Il ouvrit les yeux. Un malaise poignant, presque nauséeux, l'avait assailli.
Un cauchemar, rien de plus.
Tout à coup, Félix sentit qu'on lui secouait l'épaule.
— C'est l'heure de notre petite expédition, lui dit Namibe avant de quitter la chambre sans un bruit.
Félix s'habilla à la hâte et le retrouva dans le couloir.
— Namibe, je ne sais pas si c'est une bonne idée. Si on me surprend à traîner dans les couloirs, je risque de passer un sale quart d'heure.
— Ça tombe bien, nous ne restons pas dans l'école.
— Puis, cette histoire de Contra ne me dit rien qui vaille.
Namibe lui adressa un large sourire. Par la lumière des lampes à pétrole accrochées aux murs, Félix réalisa que son camarade s'était teint les cheveux en rouge. Il avait également changé la couleur de son vernis. Les ongles de sa main gauche étaient noirs, désormais.
Namibe n'avait rien d'effrayant. Il était certes plus grand que Félix, mais tout aussi malingre, et ne s'était jamais montré agressif ou violent. D'ailleurs, rien dans son comportement ne laissait supposer qu'il pourrait un jour agir de la sorte. Néanmoins, il arrivait qu'une onde étrange émane de sa personne. Ça pouvait arriver au moment de croiser son regard, ou lorsqu'il s'exprimait. Félix n'arrivait pas à se l'expliquer, mais il captait parfois une énergie intimidante, presque menaçante.
Sans préambule, Namibe se jeta sur Félix et l'étreignit. C'est alors que la vision du couloir se distordit. Les couleurs s'affadirent et la température chuta brutalement tandis qu'un vent frais soulevait leurs vêtements. Lorsque Namibe relâcha Félix, le garçon découvrit un nouveau paysage autour de lui. Tout de suite, il comprit qu'ils se trouvaient loin, mais alors très loin de l'école, car les montagnes escarpées sous ses yeux étaient complètement différentes de celles contemplées depuis la fenêtre de sa chambre.
— Bienvenue dans le Contra. Le berceau démoniaque, annonça Namibe.
Félix parcourut la plateforme rocheuse sur laquelle ils avaient atterri et en fit le tour. Il risqua un regard en contrebas avant de reculer précipitamment. Ils se tenaient à plusieurs centaines de mètres au-dessus du sol, sur le sommet d'une montagne abrupte.
Le Contra, le berceau démoniaque... se répéta Félix en catimini.
Les rouages de sa mémoire s'activèrent. Il fit les gros yeux et scruta Namibe d'un air interdit.
— Le Contra ! L'endroit où les démons épuisés viennent piocher de l'énergie !
Son acolyte brandit les bras pour embrasser la majestuosité de l'endroit.
— Plus que ça, mon cher Félix. L'endroit où les plus belles créations d'Obane reposent, trop puissantes pour être attribuées à qui que ce soit, et trop sublimes pour se rabaisser à venir fouler notre monde.
— Le Contra dissimule des démons non référencés ? s'exclama Félix.
— Si tu fais référence à ce classement futile établi par les humains, alors, oui. Il n'y a pas suffisamment de lettres dans l'alphabet pour comparer la grandeur de chacune.
Namibe termina sa phrase et, frappé par une révélation, se précipita sur Félix.
— Comment te sens-tu ?
Il le saisit par les épaules et l'étudia sous toutes ses coutures. Il lui souleva le maillot, ausculta son visage, palpa ses bras et écarta ses paupières pour examiner ses yeux.
— Qu'est-ce que tu fais ? s'étonna Félix.
— Démangeaisons ? Sensation de brûlure ? La gorge sèche peut-être ?
— Non, rien de tout ça. Pourquoi ?
— Simples précautions. Certains démonistes ne supportent pas de voyager dans le Contra. Bien, allons faire un tour en bas.
Le démon de Namibe se matérialisa dans un déploiement d'ailes.
— Oh ! La vache ! Mais qu'est-ce que c'est ? bafouilla Félix.
L'ombre d'une femme était apparue, protégée d'une armure et armée d'une lance. Des ailes gigantesques et majestueuses s'ouvraient dans son dos.
— C'est une valkyrie, une création du demi-dieu Odin, fils d'Obane. Inutile de la chercher dans tes bouquins, elle n'y est pas renseignée. Valkyrie, je te présente Félix.
La femme s'inclina.
— Enchantée, Félix.
— Bonjour madame, salua poliment l'adolescent.
— Les présentations sont faites !
Namibe agrippa Félix.
— Valkyrie, emmène-nous en bas, je te prie.
Félix poussa un hurlement au moment de décoller.
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La Famille Malcius - Tome 1
ParanormalComme le veut la tradition, Félix héritera d'un démon la veille de ses seize ans. Un évènement important que sa famille s'impatiente de célébrer. Pourtant, le garçon est loin de s'en réjouir. L'occultisme n'est pas sa tasse de thé et s'il pouvait se...