Réfugiés dans un angle de la cave, Félix et le Keïtos se cachaient du Cerbère. Le démon, enfermé dans sa camisole, se collait au garçon et pleurait sur son épaule.
— Ça va aller, le réconforta Félix.
Le Keïtos était une ombre, ou plutôt une fumée noire et dense, qui reproduisait maladroitement les courbes d'un corps humain. Ses yeux ronds et blancs se posèrent sur Félix. Il y avait de l'innocence dans son regard effrayé. L'adolescent lui offrit un sourire rassurant et reçut un jet de vomi en pleine face.
— Arrête de me vomir dessus !
Derrière les étagères, les flammes du Cerbère repoussèrent l'obscurité.
— Il faut qu'on fasse quelque chose.
Le Keïtos approuva et poussa Félix pour l'inviter à aller se battre.
— Je n'ai pas de démon. Essaye de faire quelque chose, toi.
Avec ses mains, l'entité lui expliqua que sa seule faculté consistait à vomir et que ça ne leur serait d'aucune utilité, mais Félix eut une idée.
Le Cerbère apparut au détour d'une allée. L'atmosphère devint pesante, chargée de soufre. D'un pas lourd, il fonça sur eux.
— C'est maintenant que tu vomis ! Allez, active !
Le Keïtos cracha un geyser et le liquide répugnant percuta le Cerbère de plein fouet. Ses flammes s'éteignirent sur le coup et ne resta du démon qu'un tas d'os fumants.
Fleur et Clément débarquèrent dans la cave.
— C'est quoi ce bazar !
Clément trouva les os empilés.
— Je crois que notre petit frère s'est amusé à libérer un Cerbère.
— Mais qu'est-ce qui t'es passé par la tête ? le disputa Fleur.
— Je veux un démon pour survivre aux Jeux, avoua Félix, toujours assis auprès du Keïtos. Et par-dessus tout, je ne veux pas être la risée de la famille.
Ses aînés se penchèrent au-dessus de lui et lui giflèrent le front.
— Donc, tu essayes de mourir dès à présent. C'est malin ça, soupira la fille.
— Et de toute façon, qu'est-ce que tu comptais faire avec un Cerbère ?
— Je ne sais pas... Lui demander d'être mon démon ?
— Insouciant et stupide. Décidément, les parents n'ont pas été gâtés par la vie avec vous deux.
— Je t'emmerde, lui glissa Fleur.
— Je pensais que tu avais libéré le Cerbère pour procéder à une absorption, mais non. Tu l'as fait par pure stupidité.
— Une absorption ?
— C'est lorsqu'un démoniste dépourvu de démon force une entité à entrer en lui, expliqua son frère.
— C'est exactement ce qu'il me faut !
— Il en est hors de question, s'opposa Fleur.
— Pourquoi ?
— Il y a un risque, ajouta Clément. Si le démon est trop puissant pour l'hôte, alors ce dernier périt.
— Comment savoir si un démon est trop puissant pour moi ?
— C'est impossible. C'est pour ça que tu ne le feras pas, insista sa sœur.
De son côté, le Keïtos écoutait la conversation sans un bruit. Ses orbes blancs glissaient successivement sur les adolescents d'un air confus.
— Et si j'absorbe le Keïtos, je ne risque rien, non ?
Félix tourna la tête vers le démon.
— Ne le prends pas mal, mais tu ne fais que vomir. Je me vois mal succomber sous ta puissance.
L'entité haussa les épaules, semblant approuver.
— C'est inutile, commenta Fleur. Ce démon ne vaut pas un clou.
Le Keïtos eut un hoquet et déversa un fluide gluant sur les pieds de Clément.
— Mes Adidas !
— Je le veux quand même. Allez, s'il vous plaît.
Fleur et Clément se consultèrent du regard. Pratiquer ce genre de rituel avec un démon de faible rang n'était pas très risqué. Félix continua d'insister jusqu'à ce qu'ils cèdent.
— Bon, très bien, capitula Fleur. Clément, apporte-moi du sel, de la lavande et du lait.
Le jeune homme s'exécuta et monta au rez-de-chaussée. Pendant ce temps, Félix s'entretint avec le Keïtos.
— Au fait, je ne t'ai même pas demandé ton avis. Tu veux bien être mon démon ?
Le Keïtos hocha vigoureusement la tête et des volutes de fumée noire traversèrent la camisole pour s'envoler.
— Cool. On va bien s'entendre, tu vas voir.
Clément retourna dans la cave, les bras chargés. Fleur récupéra le sel et le dispersa sur le sol. Elle dessina le même symbole qui avait permis de capturer le croque-mitaine et invita le Keïtos à venir au milieu. Une fois que tout fut en place, elle invoqua son démon.
— Oculus, aspire-le.
Le corps fantomatique du Keïtos se dispersa dans les cristaux de sel, comme une toile d'araignée étirée de toute part, puis la camisole s'aplatit sur le sol, vide.
Fleur hocha la tête, satisfaite.
— Ok. Ça, c'est fait.
Elle se baissa pour ramasser le sel et remarqua que des ustensiles lui manquaient.
— Mince, j'ai oublié de te demander un bol et un pilon.
Clément effectua un aller-retour express. Sa sœur récupéra le matériel et écrasa le sel avec la lavande.
— Le sel pour contenir l'entité, la lavande pour permettre au corps humain de l'assimiler.
Elle versa le lait.
— Et le lait pour allier les deux, dit-elle en terminant de remuer. C'est prêt.
— Je dois le boire ?
— Oui, cul sec. Et bouche-toi le nez.
— C'est si mauvais que ça ?
— Tu t'apprêtes à avaler une entité qui vomit toutes les trente secondes, à quoi est-ce que tu t'attends ? rit son frère. Allez, à table.
Félix saisit le bol et le porta à ses lèvres en oubliant de se pincer les narines. Des effluves immondes l'écœurèrent et il reposa immédiatement le récipient.
— Impossible. Je ne boirai pas cette chose.
Une bulle grasse éclata à la surface de la mixture, comme si le Keïtos manifestait son mécontentement.
— Un, deux, trois, compta Fleur.
Elle et Clément se jetèrent sur leur frère et lui firent avaler le mélange de force. Lorsqu'il n'en resta plus une goutte, ils le libérèrent et reculèrent d'un pas.
— Ce n'était pas si terrible que ça, finalement, avoua-t-il.
— Un, deux, trois, compta Clément.
Félix vomit à ses pieds.
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La Famille Malcius - Tome 1
ParanormalComme le veut la tradition, Félix héritera d'un démon la veille de ses seize ans. Un évènement important que sa famille s'impatiente de célébrer. Pourtant, le garçon est loin de s'en réjouir. L'occultisme n'est pas sa tasse de thé et s'il pouvait se...