La Famille Malcius - Tome 1

Chapitre 26

Clément verrouilla la porte de la salle de jeux et s'installa dans un sac de billes. Fleur et Félix se posèrent sur des fauteuils, les yeux rougis par la fatigue. Il devait être deux heures du matin.

— Demain, on s'occupe de la dernière goule, lança Fleur avec tout l'entrain qu'elle réussit à rassembler.

— Vous pensez qu'il est arrivé quelque chose à Cédric ? Si les pompiers et la police se trouvaient devant sa maison, c'est qu'il y a eu un problème. Il a pu lui arriver quelque chose de grave.

Clément claqua des doigts pour attirer l'attention de son frère.

— Qu'est-ce que je t'ai toujours dit ? Les pensées négatives favorisent le mauvais sort. Au lieu de t'imaginer le pire, réfléchis à comment l'éviter.

— Tu as raison, admit Félix. Demain, si nous le croisons au lycée, je propose de l'attirer dans les toilettes avant de l'assommer. Ensuite, on exécute directement la goule dans son ventre. C'est possible de faire ça ?

Désemparée par la brutalité de son plan, Fleur le toisa en haussant les sourcils.

— Tu viens de passer de Bouddha à Adolf Hitler en cinq secondes. Je te rappelle qu'on ne massacre pas les démons. On symbolise la justice, pas l'oppression.

— Tu n'as pas été très juste avec la goule de tout à l'heure, lui fit remarquer Félix.

La fille lui pinça douloureusement le bras.

— Aïe ! Arrête, ça fait mal.

— Laisse-moi te rappeler que je l'ai éliminée parce que mon idiot de frère est resté accroché à la chaîne.

Une pensée la saisit soudain et elle se rappela toutes les étrangetés qui étaient survenues lors de leur intrusion. Son Oculus endormi et ce démon qui s'embrase. Il y avait une explication à ces évènements mais elle lui échappait. Consciente que sa culture démoniaque n'était pas sans limites, Fleur préféra solliciter son grand-frère.

— Clément, est-ce que les Ignorants peuvent protéger leur maison des démons ?

L'aîné acquiesça. Il avait lu quelque chose là-dessus le mois dernier.

— Avec de la sorcellerie, c'est possible. Pourquoi cette question ?

— Parce que la goule que nous avons extraite s'est embrasée sous nos yeux.

— Et que nos démons étaient indisponibles lorsque nous étions à l'intérieur de la maison, ajouta Félix.

Clément se redressa, surpris par ces révélations.

— Sérieusement ?

— Sérieusement, lui confirma Fleur.

— Ça signifie que la maison a été protégée avec de la sorcellerie. Reste à savoir si c'est la famille actuelle qui l'a fait, ou bien une autre qui habitait là avant.

Fleur et Félix froncèrent les sourcils.

— Vous n'avez jamais entendu parler de sorcellerie ?

— Vaguement, répondit la fille pendant que Félix secouait la tête.

— Tout d'abord, vous devez savoir qu'un démoniste pratique la démonologie et un sorcier la sorcellerie.

— Jusque-là, ça va, le moqua Fleur.

— La démonologie est une forme avancée de sorcellerie qui implique l'utilisation d'un démon. La sorcellerie, en revanche, peut être pratiquée par n'importe quel gothique aux ongles noirs du moment qu'il apprend les formules dans le bon livre et qu'il dispose des bons ingrédients. Au cours de l'Histoire, cette distinction a créé des tensions entre les deux camps car les démonistes étaient plus puissants que les sorciers. En vérité, ces gros jaloux n'ont jamais digéré d'avoir été mis sur la touche par Obane. Alors, pour se venger, ces rats d'égouts ont commis l'irréparable. Ils se sont associés avec l'Église et, ensemble, ils ont uni leurs forces pour créer le néant, une sorte de vide infini dans lequel tous les démons ont été enfermés.

Clément claqua des doigts pour illustrer son propos.

— Toutes les entités démoniaques furent aspirées et disparurent de la surface du globe. Sorciers et religieux avaient réussi leur coup.

— Tu parles de l'âge du Néantique ? percuta Fleur.

— Oui. Tout au long de cette période, les démonistes ont cessé d'exister. Sauf qu'un beau jour, quelqu'un est parvenu à ouvrir une brèche dans le néant et les démons sont revenus parmi les vivants sans que personne ne soit capable de les y renvoyer.

— Pourquoi les sorciers et l'Église ne se sont pas associés une fois de plus ? demanda Félix.

Son grand-frère lâcha un rictus narquois.

— Parce que l'Église les a envoyés sur le bûcher juste après s'être débarrassée des démons.

— La vache... grimaça Félix.

— La suite, vous la connaissez. À la fin de l'âge Néantique, des hommes et des femmes puissants ont fondé l'Administration avec l'intention de rétablir et maintenir la paix entre les démonistes, les sorciers et l'Église.

Clément résuma.

— Nous avons donc les démonistes, les sorciers et l'Église, le tout chaperonné par l'Administration. Sauf que, comme vous pouvez l'imaginer, l'Administration n'a jamais réussi à rétablir la paix et tous les clans se détestent cordialement. C'est simplement une institution politique qui se veut pleine de bonnes intentions mais qui est gangrénée par des personnes avides de pouvoir qui ont laissé tomber la cause depuis longtemps. Enfin, bref. Tout ça pour vous dire que vous êtes peut-être tombés sur une famille de sorciers qui a protégé sa maison pour éviter que des démons ou des démonistes ne s'y introduisent.

— Ça peut nous attirer des ennuis ? redouta Félix.

— De manière générale, habiter dans la même ville qu'une famille de sorciers n'est pas source de conflit puisqu'il y a peu de chance que l'une remarque l'existence de l'autre. Je veux dire, ce n'est pas marqué sur notre front que nous sommes démonistes, et pareil pour les sorciers. Le problème, c'est que les évènements ne jouent pas en notre faveur et ceux chez qui vous vous êtes infiltrés doivent se douter qu'il y a des démonistes en ville. Il y a donc trois issues possibles.

Clément déplia son index.

— Un : ces sorciers contactent l'Administration.

Il déroula son majeur.

— Deux : ils ne font rien et laisse couler.

Puis enfin l'annulaire.

— Trois : ils décident de nous retrouver.

Félix écarquilla les yeux.

— Tu veux dire qu'ils pourraient s'en prendre à nous ?

— S'ils sont très énervés, oui, c'est possible.

Fleur poussa un ricanement et passa un coup de langue sur ses dents.

— Personne ne remontera jusqu'à nous. Et, si toutefois c'est le cas, je me ferais un plaisir de casser du sorcier.