Chapitre 37

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Clément se tenait sur le trottoir d'une rue déserte, dans la périphérie de Saint-Mérand. Il n'y avait pas un chien dans les parages, contrairement aux chats qui avaient investi les lieux comme s'il ne restait plus qu'eux sur cette planète. Il y avait des félins de partout et de toutes les sortes. Des petits, des gros, des roux, des noirs, des boiteux, des bagarreurs. C'était un véritable refuge animalier à ciel ouvert. Quand certains se glissaient sous un grillage, d'autres sautaient des toits ou s'infiltraient dans des espaces contigus. C'était à ne plus savoir où donner de la tête tant ça fourmillait. Une dizaine de chats s'était rassemblée sur le toit d'une maisonnette, assis les uns à côté des autres. Ils épiaient le garçon depuis son arrivée dans le quartier.

L'animosité réciproque qui existait entre les démonistes et les sorciers avait, au fil du temps, déteint sur leurs animaux de compagnie, si bien que Clément ne connût jamais un seul démoniste possédant un chat. Il avait déjà vu des taupes, des carpes, des cochons, des chiens comme compagnon, mais jamais de félin. Il trouvait cela bien dommage. Elles étaient mignonnes ces boules de poils, si seulement elles ne passaient pas leur temps à lui cracher dessus en sortant leurs griffes.

Mais le garçon n'avait pas pris la peine de traverser Saint-Mérand pour venir voir des animaux qui ne lui témoignaient aucune affection. Il rendait visite à quelqu'un, une femme qu'il devinait d'un certain âge car la photo qu'il avait utilisée pour remonter jusqu'à elle était en noir et blanc et que, sur celle-ci, elle paraissait avoir vingt ans. Il avait trouvé son portrait dans le pendentif à clapet du croque-mitaine. Après une série de sortilèges, la bille avait roulé sur la carte en papier et s'était posée sur... « bordel » avait juré Clément. La femme sur la photo était bel et bien vivante, et elle habitait ici même, à Saint-Mérand !

Cela faisait cinq minutes que l'adolescent n'avait pas bougé. Il fixait la maison de la vieille femme et réfléchissait au bien-fondé de son initiative. Retrouver la femme photographiée dans le médaillon du croque-mitaine décapité dans mon salon. Sacré pitch. Hésitant mais décidé, il s'élança en direction de la porte. Après tout, que risquait-il ? S'il lui parlait du croque-mitaine et qu'elle le dévisageait avec de gros yeux, il lui ferait croire à une blague de mauvais goût et s'en irait. Il accéda à un portillon donnant sur un carré d'herbe et nota la présence de statues en terre cuite sur le gazon. Il y en avait deux : une loutre et un lapin. Presque arrivé sur le perron de la porte, une sensation désagréable le déstabilisa. C'était comme sentir une odeur de brûlé avant de réaliser que rien n'est censé cuire dans le four. Le cerveau traite l'information en sous-marin et, le temps que ça remonte, il est déjà trop tard.

Une ombre passa sur son visage. Cette odeur, il l'aurait reconnue entre mille.

Ce jardin empestait l'hostilité.

Ils se cachent dans les statues, lui indiqua son démon.

Clément fourra la main dans la poche arrière de son jean et passa les doigts dans un poing américain. Au même moment, les statues en terre cuite explosèrent et deux démons en surgirent. Un homme avec une plante verte en guise de tête lui fonça dessus, ses tiges tranchantes sifflant et claquant furieusement dans les airs. Du sang dégoulinait sur son torse nu et ses globes oculaires flottaient parmi le désordre des tiges, rattachés à des branches.

Un sphinre, réfléchit Clément. Point faible, le foie.

Le garçon fléchit les genoux pour esquiver les tiges et envoya un crochet du gauche. Touché au flanc, son adversaire s'effondra. L'autre démon, un loup-garou, lui sauta sur le dos et le mordit à l'épaule. Clément poussa un hurlement de douleur et l'envoya au sol par une projection en avant. Une lueur rougeâtre enroba son poing et il frappa son adversaire encore étendu par terre, mais ce dernier roula sur le côté. Le coup explosa un carré d'herbe tandis que le loup-garou se relevait, bientôt rejoint par le Sphinre.

— Ça suffit !

Clément et les démons se tournèrent vers la maison. Une vieille dame se tenait sur le seuil de la porte.

— C'est un démoniste, mamie ! grogna le loup-garou. On ne peut pas le laisser t'approcher.

Elle haussa les sourcils et se tourna vers Clément.

— Jeune homme, qu'est-ce qui t'amène ici ?

Elle était enveloppée dans un châle aux mailles grossières. De profondes rides marquaient son visage et ses cheveux gris étaient soigneusement rassemblées en un chignon.

Clément fouilla dans sa poche et lui tendit le médaillon.

— Ça vous appartient, n'est-ce pas ?

La vieille dame n'eut pas l'air étonné.

— Oh ! Cette fripouille de William a perdu son collier. Merci de me l'avoir rapporté. Je le lui rendrai dès que je le verrai. D'ailleurs, ça fait quelque temps qu'il ne passe plus, William... J'espère qu'il va bien.

Clément déglutit. Il abaissa le bras, embarrassé par cette posture conquérante. Le croque-mitaine, ce dénommé William, n'avait pas volé le bijou. Il lui appartenait. Clément avait imaginé leur rencontre de bien des manières, et certainement pas ainsi.

Son téléphone portable vibra dans sa poche mais il l'ignora.

— William est mort, annonça-t-il en détournant le regard.

Il y eut un moment de silence. Clément n'était pas sûr d'avoir parlé et la vieille femme d'avoir entendu. Les secondes s'égrenèrent, muettes, puis l'un comme l'autre sut qu'il n'y avait rien à ajouter.

La vieille femme accusa le coup. Doucement, elle s'affaissa. Son dos s'arrondit, ses épaules tombèrent. Les cicatrices du temps sur son visage se creusèrent un peu plus. Tout à coup, elle parut vieillir de dix ans.

— Entre un instant, tu dois avoir des choses à me raconter.

Clément la suivit jusque dans le salon et ils s'installèrent sur un canapé. Sur la table basse, elle récupéra un mouchoir et essuya ses paupières.

— Comment t'appelles-tu, mon garçon ?

— Clément. Et vous ?

— Marguerite. Alors, Clément, pendant que je jette un coup d'œil à ton épaule, tu veux bien me raconter ce qui est arrivé à William ?

À nouveau, son téléphone portable vibra sans qu'il ne daigne décrocher. 

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant