La Famille Malcius - Tome 1

Chapitre 46

La Valkyrie déposa ses passagers sur la terre ferme puis se volatilisa.

— La prochaine fois, préviens-moi quand on s'envole, balbutia Félix en titubant, le visage blême.

— Serais-tu malade ? s'amusa Namibe.

Félix s'assit sur une souche et poussa un hoquet.

— Les humains sont si faibles. Allez, du nerf jeune bipède imberbe !

Il saisit Félix par le bras et le souleva. De retour sur ses pieds, le garçon resta un instant immobile et se laissa une minute pour se familiariser avec son environnement. Ils avaient atterri dans une forêt peuplée d'arbres massifs qui, malgré leur faible nombre, donnaient une impression d'opulence végétale tant ils étaient larges. Des pierres tombales étaient disséminées au pied des arbres. Certaines étaient bancales, éméchées, et le lierre grimpant qui les recouvrait témoignait d'un manque d'entretien.

— Un cimetière ? réagit Félix.

— La plaine d'Etora. Ici reposent ceux qui ont donné leur vie pour préserver cet endroit de l'ennemi.

— Protéger le Contra de l'ennemi ? De quel ennemi ?

Au moment où Félix termina sa phrase, une sensation désagréable lui arracha un frisson. Il voyait Namibe de dos car celui-ci marchait devant, mais il était persuadé de capter, une fois encore, cette onde menaçante que son camarade libérait parfois.

— Celui qui par la croix impose, qui par la lumière aveugle. L'ennemi originel.

Félix ne comprenait pas et préféra rester dans le flou. Tout ce qu'il voulait, c'était que cette sensation désagréable cesse de le tarauder.

Ils contournèrent un chêne immense et marchèrent tranquillement dans les herbes folles. De petites fleurs orange, blanches et violettes effleuraient les cuisses de Félix.

— Je me posais une question l'autre jour, dit le garçon.

Namibe poussa un ricanement. Lui arrivait-il de ne pas s'en poser ?

— Comment se fait-il que les démons proviennent d'époques différentes ? Toi, par exemple, tu es l'hôte d'une Valkyrie. Pourtant, je connais quelqu'un dont le démon remonte aux Croisades. Et c'est là que je ne saisis pas. Je pensais qu'Obane avait créé les démons au début de l'âge sombre, puis basta. Or, il semble le faire à travers les siècles.

— Décidément, il était temps que tu ailles à l'école, sourit Namibe. Les démons endossables étaient à l'origine des créatures fantastiques qui, au moment de leur mort, ont été punies pour leurs crimes et réduites à l'état d'entité spirituelle. Au fil du temps, ces créatures fantastiques se sont renouvelées en prenant de nouvelles formes, de nouveaux noms. C'est pour ça qu'il existe des démons de différentes époques. Mais tu dois savoir que leur renouvellement s'est arrêté il y a plusieurs siècles et il n'y en a plus jamais eu d'autres. Ainsi, le nombre de démons endossables est figé et Mariste, le demi-dieu chargé de leur jugement, a pris ses vacances il y a belle lurette. À côté de ça, il y a les démons non-endossables qui sont renouvelés à l'infini.

— D'où viennent-ils ?

— Ceux sont des humains jugés par le frère de Mariste : le demi-dieu Segran.

Félix se stoppa net.

— Tu veux dire que les démons que nous croisons dans la nature étaient autrefois des humains ? s'étrangla le garçon.

— Oui. Par exemple, les Ménoclas sont des humains coupables d'infanticide.

— Je comprends mieux, grimaça Félix en se rappelant celle affrontée dans son salon.