Chapitre 15

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— Dégagez !

Fleur ouvrit la porte d'entrée et le club de foot quitta le manoir sans se faire prier. Celui pour qui elle avait un faible patientait dans le hall, les mains enfoncées dans les poches de sa veste en jean. Il avait le regard bas et n'en menait pas large.

— Tu es encore là, toi ? grogna-t-elle.

— Fleur, excuse-moi. Je pensais les avoir prévenus et...

— Arthur, je me fous royalement de tes excuses. Personne ne touche à mon frère. Maintenant, pars.

Abattu, le garçon acquiesça, comprenant que rien ne la ferait changer d'avis. Il sortit sur le perron et Fleur ferma la porte derrière lui avant d'éteindre les lumières pour le faire marcher dans le noir.

— Ça te fera les pieds.

Elle échangea ses talons contre une paire de chaussons roses un peu ringards et partit en direction de la cuisine. Se hissant sur la pointe des pieds, elle accéda à une armoire et en sortit une bouteille de Whisky, un single malt vingt ans d'âge. Elle en servit deux verres, en garda un pour elle et tendit le second à sa voisine. Maeva, adossée au frigo, l'accepta bien volontiers.

— Tu dois avoir des questions, lança Fleur en observant l'obscurité par la fenêtre de la cuisine.

La fille eut un moment d'hésitation, illustré par son silence, puis se lança.

— C'est toi qui lui as cassé le poignet. N'est-ce pas ?

Il n'y avait aucune tension, aucune peur, dans sa voix. Seulement une volonté de savoir, de comprendre.

Fleur but une gorgée de Whisky, puis remua lentement la tête pour confirmer.

— Mon démon s'en est occupé, dit-elle.

— Ton démon ?

L'ombre de l'Oculus se déploya au-dessus de Fleur, ses contours oscillant sous la lumière. Maeva fit les gros yeux et recula instinctivement, les doigts crispés autour de son verre. Étrangement, la peur éprouvée se dissipa rapidement et ne resta que de la fascination dans son regard.

— Voici un démon, reprit Fleur. Une entité spirituelle, comme celle que j'ai retirée de ton esprit l'autre jour, dans les toilettes. Maintenant que tu as été en contact avec l'un d'entre eux, il t'est permis de les voir.

La jeune femme termina son verre et le remplit à nouveau. Maeva, dont l'engourdissement de l'alcool lui était plus que nécessaire à présent, fit cul-sec et tendit son verre.

— D'où viennent-ils, les démons ?

— Du même endroit que toi et moi, la Terre. Depuis les prémices de l'humanité, des démons peuplent les forêts et les villes. Certains sont calmes et paisibles, d'autres beaucoup moins. Du coup, des familles comme la mienne se sont dévouées pour faire le tri.

— C'est incroyable, souffla Maeva. Donc, il existe les démons libres et ceux qui ont un maître comme toi ? Est-ce qu'ils ressemblent tous à des ombres ?

— C'est à peu près ça. Pour leur apparence, les démons deviennent des ombres lorsqu'ils sont détenus par un hôte. Si ce n'est pas le cas, ils gardent leur forme originelle, ce qui n'est pas toujours agréable à voir.

Maeva accusa le coup en poussant un soupir. Comme au début de leur conversation, son inquiétude grandissante disparut au profit de la curiosité.

— Félix a un démon, lui aussi ?

— Ne sois pas trop curieuse, la tempéra Fleur.

— Pardon. Tu m'en as déjà dit beaucoup.

Les deux filles traversèrent la cuisine en évitant les adolescents qui buvaient à tort et à travers. Les démarches mal assurées et les yeux fuyants de certains témoignaient d'un excès de boisson et Fleur s'assura que personne n'était trop mal en point.

— Merci, dit Maeva.

— Je n'ai pas eu le choix.

— Tu aurais pu garder ce secret et me laisser devenir folle.

Elle hocha la tête.

— C'est vrai, j'aurais pu. Je t'avoue que je n'y ai pas pensé.

Maeva eut un sourire pincé.

— Tu n'as pas peur que j'aille raconter tout ça à quelqu'un ?

Fleur haussa les épaules.

— Qui voudrait bien te croire ?

Elles se posèrent contre un mur du salon et continuèrent de boire tranquillement. Des garçons les invitèrent à danser et elles les envoyèrent balader gentiment. À un moment, un ami de Clément insista et attrapa Maeva par la main. La jeune femme lui envoya sa converse dans le tibia et se réjouit de le voir boitiller sur la piste de danse.

L'alcool commençait à bercer Fleur, accentuant les mouvements de sa tête qui dodelinait sur la musique, lorsque des tintements métalliques résonnèrent dans le manoir.

Ding Ding Ding Ding.

Étourdie, il lui fallut plusieurs secondes pour remarquer le bruit désagréable.

Ding Ding Ding Ding.

Soudain, elle écouta les tintements avec toute l'attention qu'ils méritaient. Son corps se crispa. Elle s'apprêtait à entrer sur la piste de danse pour chercher ses frères quand les deux garçons sortirent de la foule. Eux aussi semblaient paniqués.

— C'est impossible, s'écria Clément. Il doit se tromper.

Fleur secoua la tête.

— Charon ne se trompe jamais.

Les enfants Malcius se précipitèrent dans le couloir. Charon secouait une clochette qu'il tenait dans la main, le bras le long du corps pour essayer de rester discret. Entre alerter et rester invisible, le gardien avait fait de son mieux. Des adolescents essayaient de comprendre pourquoi la statue faisait un raffut pareil et Félix leur expliqua que c'était une sorte d'horloge chinoise que ses parents avaient ramenée d'un voyage.

— Elle déconne un peu ces derniers temps, confia-t-il.

Une fois les curieux dégagés, ils portèrent Charon dans le cagibi sous l'escalier.

— Bon sang, il fait trois tonnes ! grogna Clément.

Ils le déposèrent dans la pièce étroite et refermèrent derrière eux.

— Je ressens la présence de plusieurs démons sous nos pieds, annonça la statue, ses lèvres en bronze remuant sous ses dires.

— Tu veux dire, dans la cave ? s'enquit Fleur.

— Oui. J'en compte dix-sept.

— Dix-sept démons ? C'est une plaisanterie ! s'exclama Félix.

— Si l'un d'eux s'est libéré, il a certainement aidé ses petits copains à sortir. Bien, on garde notre sang-froid et on passe au plan de secours. Félix, tu récupères le labyrinthe dans la malle à jeux et tu le déploies dans le jardin. Ensuite, on invite tout le monde à entrer dedans. Quand ce sera fait, on ferme l'entrée et on les laisse tourner en rond le temps de se débarrasser des parasites.

Clément oscilla de la tête, à moitié rassuré.

— Fleur, pardonne mon scepticisme, mais dix-sept démons en rogne ça fait beaucoup. Tu ne trouves pas ?

— Je sais, répondit la jeune femme. C'est pour cette raison que nous allons faire un détour par l'armurerie.

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant