Chapitre 20

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— Comment ça, il en manque deux ? s'insurgea Valentine.

Fleur déposa les fioles en cuivre sur la table du salon.

— De mémoire, nous en avons tué dix-sept. Sauf que j'ai trouvé dix-neuf fioles vides dans la cave.

Clément prit la parole pour partager ses doutes.

— La tête de sanglier que nous avons dessiné dans le manoir empêche les démons d'entrer et de sortir. Si ces deux-là se sont fait la malle pendant l'affrontement, ils devraient être dans les parages.

Charon racla son gosier métallique pour indiquer qu'il souhaitait s'exprimer.

— Monsieur Clément, si des démons rodaient dans le manoir, je vous assure que je les sentirais.

— Sauf si nous parlons de goules, intervint Théo.

L'adolescent cessa de tripoter l'anneau à son oreille et renifla les fioles vides que Fleur avait ramenées. Il fronça le nez devant l'une d'entre elles et éloigna brusquement ses narines.

— Il y avait bien une goule parmi nous hier soir. Deux, si l'on en croit Fleur. C'est pour ça que votre gardien ne les a pas senties. Les goules n'ont pas d'aura démoniaque.

Félix saisit son réfracteur.

— Il faut fouiller les pièces de la maison.

— Si vous voulez mon avis, continua Théo. Elles sont parties depuis longtemps. Si j'étais un démon en cavale, je ne m'amuserais pas à rester dans une famille de démonistes.

— Il marque un point, concéda Clément.

— Et concernant la tête de sanglier, elle empêche les démons d'entrer et de sortir, mais pas les humains. Ce qui veut dire que les goules ont trouvé une victime à posséder.

Fleur claqua sa langue contre son palet en signe de désaccord.

— Un démon, aussi puissant soit-il, ne peut pas posséder un humain à sa guise. Briser un esprit est un travail fastidieux.

— Vu l'état dans lequel étaient vos invités en partant, même une cuillère aurait pu pénétrer leur conscience, railla Valentine.

En dépit de son manque d'expérience, Félix comprit la situation, ce qui ne manqua pas de l'inquiéter.

— Attendez deux secondes, vous voulez dire que des goules se sont accrochées à l'esprit de deux lycéens ?

— Il semblerait, déclara Fleur. Mais tout va rentrer dans l'ordre. Lundi on arrive au lycée et on flingue ces deux blaireaux.

À bout de forces, Maeva ne parvenait plus à assimiler les informations qui tombaient comme les gouttes d'une pluie dru. De son ongle, elle tapota l'épaule de Charon. Le bonhomme singulier se tourna et la gratifia d'un sourire.

— Je peux vous aider, mademoiselle Maeva ?

— Je ne comprends rien à tout ce qu'ils racontent. Non, en fait, je ne comprends rien aux démons.

Charon partit s'asseoir sur une chaise et invita Maeva à le rejoindre. Ils s'installèrent côte à côte et observèrent les Malcius et les Foladel élaborer une stratégie pour dénicher et éliminer les deux goules. Quelle ironie, cette trêve passagère entre les deux familles, bâtie sur une volonté de tuer.

— Par où commencer, murmura Charon. Comme vous avez pu le remarquer, il existe une multitude de démons. Prenons l'exemple de la grosse araignée que mademoiselle Fleur a éliminée. Dans le jargon démoniaque, cette créature est nommée Ménocla. Les Ménocla appartiennent à une même famille qui se divise en sous-catégories. On peut rencontrer des Ménocla d'Afrique du Sud, des Ménocla à poils de tigre, des Ménocla à museau plat etc... Certaines tourmentent les humains, d'autres ne le font pas, et le rôle des démonistes est de capturer celles qui ne respectent pas les règles.

Maeva résuma pour s'assurer de suivre les explications de la statue.

— Donc, tous les démons emprisonnés dans la cave ont tourmenté des humains à un moment ou à un autre ?

— C'est ça.

— Il existe une différence de puissance entre les démons, n'est-ce pas ?

— C'est vrai, admit Charon. Qu'est-ce qui vous a mis la puce à l'oreille ?

— L'arrivée des Foladel.

Charon acquiesça et croisa ses jambes de métal.

— Vous devez savoir que, plus un démon est répandu, moins il est puissant. Le principe de rareté est donc très important. Pour jauger la puissance des démons, les démonistes les ont classés en fonction de leur nombre. Par exemple, l'Oculus de mademoiselle Fleur est une entité semi-rare de catégorie C. Il n'y en a que trois cents dans le monde.

— Et pour celui de Valentine et ses frères ?

— Là, c'est une autre paire de manches, dit-il d'une voix profonde, teintée de méfiance. Valentine Foladel dispose d'un Thorne. Même si je n'ai pas les chiffres exacts en tête, ce monde ne doit pas en compter plus d'une cinquantaine, ce qui en fait un démon de rang A. Son frère, Théo Foladel, est l'hôte d'un Limier. Aux dernières nouvelles, les chercheurs ont recensé quatre-vingts entités comme celle-ci, ce qui en fait un démon de rang B plus.

— Une entité, c'est un démon, c'est ça ?

— Oui. Une entité, un esprit, un démon. C'est du pareil au même.

— D'accord. Et pour Gabriel ?

— Gabriel Foladel abrite en lui une sorcière, les mêmes qu'on faisait brûler sur des bûchers au moyen-âge. De mémoire, il en subsiste trente, ce qui en fait un démon de rang A plus.

Une pensée sombre se fraya un chemin dans l'esprit de Maeva.

— Vous avez dit tout à l'heure que, plus un démon est répandu, moins il est puissant. Et si toutes les Ménocla du monde venaient à disparaître et qu'il n'en restait plus qu'une seule, que se passerait-il ?

— C'est impossible. Les démons non endossables, c'est-à-dire ceux qui ne peuvent pas être possédés par un hôte, sont remplacés aussitôt qu'ils disparaissent.

— Et pour les démons endossables ?

— Une fois que l'hôte a rendu son dernier souffle, son démon redevient errant et patiente d'être attribué à un nouvel hôte.

— Donc, il y aura éternellement des démons sur Terre ?

— En effet. Mais n'ayez crainte, l'Administration veille sur les Ignorants.

— Tout est si bien ficelé, avoua Maeva, impressionnée. Et les démonistes, comment choisissent-ils leur démon ?

Charon poussa un gloussement semblable à un frottement de pièces de monnaie.

— Les démonistes n'ont pas la prétention de choisir leur démon. C'est Obane qui pioche parmi les deux camps. Il sélectionne un hôte la veille de ses seize ans, puis un démon, et les deux se rencontrent. Ensuite, ils doivent apprendre à cohabiter.

— Je vois. Vous m'autorisez à vous poser une dernière question ?

— Je vous en prie.

— Pourquoi certains démons, comme ce croque-mitaine, essayent de posséder les Ignorants ? Quel est l'intérêt ?

— Lorsqu'un Ignorant est tourmenté, il va générer toutes sortes d'émotions noires. De la peur, de la tristesse, de la colère. Ces émotions négatives sont une denrée très addictive pour les démons qui n'hésitent à posséder leur victime pour s'en repaître.

Une ombre passa sur le visage de la jeune femme.

— D'accord. Merci Charon.

— De rien très chère.

Devant eux, Fleur et Valentine se tiraient la bourre sur qui serait la plus à même d'éliminer les goules. Le ton monta rapidement entre les jeunes femmes.

— Elle a quelque chose à rajouter Britney Spears ? cracha Fleur.

— C'est moi que tu appelles comme ça ?

Leur démon respectif se matérialisa et une onde de choc dévasta le salon.

— On vient juste de finir de ranger ! s'écria Clément en levant les bras au ciel.

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant