Chapitre 2

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Félix s'installa à côté de Max et posa un livre occulte par-dessus son fascicule de mathématiques.

— T'es flippant avec tes monstres, lui fit remarquer son ami.

— C'est juste un livre.

— Imagine un peu la réaction de Maeva si elle te voyait lire un truc pareil. J'sais pas, moi. Intéresse-toi aux voitures, comme tout le monde !

Mais Félix avait d'autres chiens à fouetter que de savoir ce qu'on pensait de lui. Il ouvrit le Daemonium au hasard et tomba sur le dessin d'un croque-mitaine. Le démon avait la forme et la posture d'un humain, si ce n'est que sa peau était boursouflée et recouverte de pustules juteuses. L'illustrateur avait laissé une annotation sur le côté de la page : Le croque-mitaine se revêtit à la façon des humains pour mieux les tromper. À mon humble avis, il est coquet de nature. L'allure répugnante du démon arracha un frisson à Félix. Pour autant, il ne craignait pas d'en croiser un le soir de son anniversaire. Les croque-mitaines appartenaient à la famille des démons non-endossables et ne pouvaient fusionner avec un démoniste.

Manquerait plus qu'un monstre pareil soit endossable, maugréa Félix dans un coin de sa tête. Sérieusement, Obane. Vous ne pourriez pas garder votre démon, tout simplement ?

Mais la prière du garçon était vaine. De lointains ancêtres avaient prêté allégeance au dieu démoniaque et il était impossible de faire machine arrière désormais. Félix deviendrait un hôte quoi qu'il arrive.

Le professeur approcha du bureau. Malgré les coups de coude envoyés par son ami, Félix réagit trop tard et l'ouvrage lui fut subtilisé.

— Les mathématiques t'ennuient, Félix ?

Le professeur fronça les sourcils en découvrant sa lecture.

— C'est un livre surprenant que tu as là.

Les élèves de la classe s'agitèrent et le professeur leur montra le dessin du croque-mitaine. Des ricanements et des murmures confus s'élevèrent. Félix était au comble du malaise. Il osa un coup d'œil par-dessus son épaule et croisa le regard de Maeva. La fille l'observait avec une curiosité austère, un peu comme s'il avait porté un nez rouge et une perruque bleue alors qu'elle détestait les clowns.

Le professeur lui restitua l'ouvrage en le priant de suivre le cours, puis retourna au tableau.

— Maeva m'a regardé bizarrement, se lamenta le garçon. Elle doit me prendre pour un type tordu !

— Évidemment qu'elle te prend pour un type tordu ! réagit Max. Tu vas bientôt avoir seize ans et tu lis encore des bouquins avec des monstres.

Félix tressaillit. La réplique de son camarade l'avait frappé comme un coup de bâton derrière la tête. Dans quelques heures, il atteindrait la majorité démoniaque et rencontrerait son démon. Celui qui l'accompagnerait tout au long de sa vie. Et il n'aurait pas son mot à dire. Ni sur sa nature, ni sur leur union. Quelle injustice ! Il avait feuilleté le Daemonium toute la matinée à la recherche d'un sortilège ou d'un rituel qui le préserverait d'un démon malveillant, mais n'avait rien trouvé. Ses parents avaient toutes sortes d'astuces pour protéger la maison : de l'encens, de l'acajou, des cadavres de rongeurs enterrés sous le manoir, un œil de taupe accroché au-dessus de la porte d'entrée, exceptera, exceptera. Pourtant, rien de tout ça ne pouvait lui venir en aide, alors il cherchait de son côté.

— Dis, chuchota Max en cachant ses lèvres avec sa main. Tu fais quelque chose pour ton anniversaire ? Je sais que la date officielle, c'est ce soir, mais on pourrait faire une fête ce week-end ?

— Une fête ? Chez moi ?

— Bah oui, pas chez le voisin.

Félix laissa échapper un ricanement. Une fête au manoir ? Au milieu des esprits* et des objets occultes ? C'était hors de question. Même s'ils étaient invisibles aux yeux des Ignorants, les démons savaient se manifester de mille façons et montraient un goût prononcé pour la farce. Et, quand bien même ils se tiendraient à carreau, ses parents refuseraient catégoriquement qu'il organise sa soirée d'anniversaire au manoir.

— Impossible.

— C'est dommage. Tu aurais pu inviter Maeva, glissa habilement son ami.

— Mae... Tu crois qu'elle viendrait ?

— Évidemment. Tout le monde aime faire la fête.

En bonne girouette, Félix se mit à hésiter. Il avait une chance de se rattraper, de montrer à Maeva qu'il était un adolescent cool et pas un type tordu qui lisait des bouquins bizarres. L'occasion était trop belle pour la manquer ! Félix réfléchit à toute vitesse. S'il voulait organiser une soirée au manoir, il devait d'abord rallier Clément et Fleur à sa cause. Ensemble, ils trouveraient une solution pour éloigner les parents, puis ils débarrasseraient le manoir des statuettes possédées et des bibelots ensorcelés. En ce qui concernait les démons errants, une tête de sanglier dessinée à la craie sur le parquet du salon suffirait à les dégager quelque temps.

Max pressentit que son camarade était sur le point d'accepter.

— C'est oui ?

— Je crois que ça peut le faire.

— Super, dit le garçon en pianotant sur son téléphone portable. Je viens de poster un message sur Facebook.

— Sur Facebook ? s'étrangla Félix.

— Pas le choix ! Comment on aurait invité les filles de terminale, sinon ? On n'est pas des losers, mais pas loin quand même.

— Les filles de terminale ? Mais, il s'agissait de Maeva, pas de toutes les étudiantes du lycée !

Le professeur frappa son feutre contre le tableau.

— Les garçons, un peu de calme.

— Pardon m'sieur, répondirent les deux adolescents.

Max laissa passer plusieurs secondes, puis se pencha vers son camarade et lui dit :

— Tu vas voir, ça va être le meilleur anniversaire de ta vie.

Félix esquissa un sourire vaguement convaincu.


*Dans le lexique démoniaque, les termes esprit et démon ont la même signification. 

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant