Chapitre 29

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Matilda tamponna la commissure de ses paupières pour effacer le reste de ses larmes. Ce n'était pas le moment de faillir, il en allait de la santé de son enfant. À la faible lueur des bougies réparties dans le salon, elle termina de tracer une icône autour du corps de Félix. Le garçon restait plongé dans l'inconscience, et ses vêtements trempés de sang laissaient présager le pire. Fleur ramena une paire de ciseaux et découpa son tee-shirt. Dévoiler son torse confirma leurs craintes. Une entaille sinueuse reliait sa clavicule gauche à son flanc droit en passant sous sa poitrine. Elle était maladroite, comme si la lame rouillée d'un couteau s'y était prise à plusieurs fois pour le découper. Son bras gauche, au niveau du biceps, avait été mastiqué par une mâchoire qu'on aurait juré être celle d'un ours. Des fibres musculaires se mêlaient à la chair en une bouillie écœurante. Avec précaution, Fleur glissa un oreiller sous la main de son frère. Ses doigts, braqués en des angles absurdes, la firent frissonner.

Matilda attacha ses cheveux et s'agenouilla auprès de Félix. Elle cacha son visage derrière ses mains, puis se pencha en avant jusqu'à ce que sa tête frôle le sol.

En voyant leur mère adresser une prière à Obane, Fleur et Clément brûlèrent de lui révéler la vérité sur Félix. Cependant, ils se retinrent.

— Sa faute est notre, psalmodia Matilda.

La femme se redressa. Elle ôta une main, de manière à ne dévoiler que la moitié de son visage, et se pencha à nouveau.

— Nous avons manqué de vigilance, mais aussi de fermeté envers notre enfant. Le dispenser de votre enseignement était une grave erreur, continua-t-elle.

Elle se releva, retira son autre main et retourna se confronter au parquet.

— Acceptez nos excuses, Obane. Sauvez notre enfant.

Se cacher pour avouer une faute, s'exposer en partie pour confesser son erreur, puis se découvrir pour demander pardon. Bien qu'elle respectât chacune des étapes de la prière démoniaque, Félix n'en reçut aucun bénéfice.

— Je m'y suis mal prise, je vais recommencer, bafouilla Matilda.

Son désarroi poussa Fleur à sortir du silence. Aux anges le secret de son frère, il fallait agir au plus vite.

— Félix est déchu, déclara l'adolescente. Obane ne l'aidera pas.

Clément approuva son initiative par un sourire compatissant.

— Déchu ? répéta Marc. Mais, et le Keïtos ?

— Nous avons pratiqué une absorption, avoua l'aîné.

— Avez-vous conscience des dangers d'une absorption ? tonna Matilda, la mine empourprée par la colère.

D'un ton tranchant, Clément répliqua :

— C'est Félix qui nous l'a demandé. Il redoutait tant de vous décevoir qu'il a préféré prendre ce risque plutôt que de vivre dans la honte d'être déchu. Ne rejetez pas la faute sur nous. Si vous n'accordiez pas une si grande importance aux démons, peut-être qu'il aurait eu le courage de vous l'annoncer.

Matilda accusa le coup mais ne donna pas suite à sa remarque. Le temps pressait.

— Ne perdons pas une seconde, ordonna-t-elle. Invoquez vos démons. À nous quatre, nous avons une chance de le soigner.

— À nous cinq, rectifia Charon depuis le couloir.

La statue de métal se présenta dans le salon et compléta le groupe que ses maîtres avaient établi autour de Félix.

— Ne dépassez pas votre Métase, prévint Marc. Si vous atteignez vos limites, allez-vous reposer.

Les membres de la famille acquiescèrent et les démons se déployèrent.

*

Trois heures, quatre remontées gastriques, une flaque de sueur et deux pauses plus tard, les Malcius rappelèrent leur démon, satisfaits du résultat. Le corps de Félix avait guéri et il ne restait aucune trace des mutilations. Le garçon se réveilla vingt minutes plus tard, barbouillé et incapable de se souvenir des derniers évènements. Marc l'aida à se relever et le fit s'asseoir sur le canapé.

— Que s'est-il passé ? demanda Félix, la bouche pâteuse.

— Tu as dépassé ton Métase, lui expliqua calmement son père. Après quoi ton démon a été contraint de piocher de l'énergie là où il n'aurait jamais dû le faire.

— Je me souviens avoir été en colère, puis plus rien.

— Ça, on l'avait remarqué, railla sa sœur. Attends de voir l'état de ta chambre.

— Je suis désolé...

— C'est déjà oublié, mon chéri, le rassura Matilda. Et tu n'as aucune crainte à avoir concernant le choix d'Obane. Fleur et Clément nous ont raconté ce qui s'est passé la veille de tes seize ans. Déchu ou non, tu restes notre enfant et nous t'aimons.

D'ordinaire,les marques d'affection étaient la corde sensible de Félix et provoquaient son émoi. Pourtant, cette fois-ci, il n'en éprouva rien. Quelque chose avait changé en lui, ou plutôt, quelque chose s'était réveillé en lui. Une sorte de férocité, comme une rage de vaincre, de vivre, de s'élever.

— Je veux m'entraîner, annonça-t-il finalement. Je veux apprendre à contrôler mon Keïtos, à repousser mes limites.

Du coin de l'œil, ses parents partagèrent leur surprise.

— Tu dois d'abord te reposer, avertit Matilda. Même si tes blessures ne sont plus visibles, tu...

— Mon entraînement débutera dès que possible, trancha Félix, le regard fixe.

À partir de maintenant, l'adolescent ne se reposerait plus sur les siens. Il prendrait son destin en main, à commencer par les Jeux Obscurs.

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant