Valentine, bien que fière et dégourdie, préféra prévenir Fleur. Elle pouvait tout à fait se débrouiller seule – quoique du matériel lui aurait manqué – mais Félix était son frère et si elle s'amusait à le purger dans son coin, cela risquait de lui attirer des ennuis.
Fatigué par la colère, Félix s'était endormi et la jeune femme avait fait de ses cuisses un oreiller pour lui soutenir la nuque, ce qui, en l'instant présent, l'agaçait. Elle aurait dû le laisser attraper un torticolis sur le sol dur et crasseux des toilettes, cet idiot incapable de se contrôler. Ces gens de bas privilège n'avaient décidément aucune tenue. Un simple aller-retour dans le Contra et voilà qu'il flanchait déjà. Combien de fois s'y était-elle rendue, dans ce néant chaotique qu'il n'était jamais bon de visiter ? Beaucoup trop à son goût. Et à chaque fois, Valentine n'en avait gardé aucune séquelle. Pourtant, Obane sait qu'elle en avait des malheurs et des chagrins en ce temps-là, facilement exploitable par le malin, mais jamais elle ne s'était laissée tourmenter. Qui sait ce que son père lui aurait fait si elle avait faibli ? Gabriel le savait, lui. Et depuis qu'il le savait, il ne parlait plus beaucoup. De leur jeunesse, Valentine et ses frères en gardaient un mauvais souvenir. Entraînement sur entraînement, cours de démonisme, cours de sorcellerie, chasse au démon et, le plus pénible, passage dans le Contra. À cette époque, les trois enfants étaient trop jeunes pour posséder un démon et, par conséquent, ils étaient incapables de dépasser leur Métase (le Métase est une limite qui représente les forces combinées d'un hôte et son démon. Lorsque cette limite est dépassée et que l'hôte continue de solliciter son démon, ce dernier n'a d'autre choix que de glaner de la force dans le Contra). Alors, leur père leur avait fait absorber des entités de rang faible, histoire de leur fournir un démon sans que ce soit dangereux. Le processus achevé, il les avait poussés à dépasser leur Métase quotidiennement pour les renforcer. Des médecins démoniaques les avaient accompagnés et leur prodiguaient les soins nécessaires après chaque entraînement, mais le contrecoup était d'une douleur si intense que Valentine et ses frères avaient plusieurs fois demandé à ce qu'on les achève.
La fille réprima un frisson. Il n'était pas bon de ressasser le passé.
Des coups acharnés sur la porte des toilettes la sortirent de ses pensées. Elle déverrouilla la serrure d'un claquement de doigts et accueillit Fleur avec un sourire des plus faux.
— Bonjour Fleur. Quel plaisir de voir ta face de rat.
— Lèche-moi le cul Valentine. Bon, qu'est-ce qui s'est passé ?
Sans précaution, elle repoussa la tête de Félix et se releva en époussetant sa jupe.
— Il s'est passé que ton abruti de frère a essayé de s'en prendre à un Ignorant.
Le regard de Fleur se transforma en deux hublots ahuris.
— Il s'est querellé avec sa douce et elle lui a collé une bonne gifle avant de quitter la classe. Je suppose que ça l'a mis en rogne et mon démon a senti son hostilité grandir. J'ai dû intervenir avant que ça ne dérape.
Fleur soupira.
— Fais chier.
— Également, j'ai remarqué que Félix avait fait un passage dans le Contra. Tu étais au courant ? demanda Valentine.
Sans savoir s'il était judicieux de le lui révéler, Fleur hésita plusieurs secondes.
— Il a dépassé son Métase hier soir, avoua-t-elle après un moment. Et le contrecoup a été particulièrement virulent. On a frôlé la catastrophe. J'en ai touché deux mots à Maeva ce matin, dans l'espoir qu'elle l'aide à traverser l'étape difficile qu'il vit actuellement. Mais, au vu de ce que tu m'as raconté, ça ne s'est pas passé comme prévu.
— L'étape difficile qu'il vit ?
— Tu sais, le garçon que tes frères n'ont pas réussi à exorciser l'autre soir ? raconta Fleur. Ses parents l'ont retrouvé mort dans sa chambre. Il s'est suicidé et Félix se pense responsable.
Le bassin posé contre un lavabo, Valentine écouta sans rien laisser paraître sur son visage poupin. Elle se ferma à toute empathie, toute compassion, le temps d'entendre ce que Fleur avait à lui raconter. Lorsque tous les tenants et aboutissants furent en sa possession, elle retrouva son attitude hautaine et changea aussitôt de sujet.
— Nous devons nous occuper de Félix. Maintenant.
— Nous l'avons déjà soigné, ajouta Fleur.
— Crois-moi, il y a des blessures bien plus terribles que celles visibles à l'œil nu. Tu n'as jamais dépassé ton Métase ?
— Non, ça ne m'est jamais arrivé.
— À tes parents non plus, j'imagine ?
— J'en doute. Pourquoi ces questions ?
— Lorsqu'un démoniste dépasse son Métase, l'énergie qui lui parvient lui cause des blessures physiques, mais pas seulement. Elle empoisonne son esprit et intensifie toutes ses pensées sombres. Ça revient à vivre dans le noir tandis que le soleil est à son zénith.
— Mes parents ne doivent pas être au courant, admit Fleur. Comment peut-on l'aider ?
— Il faut le purger, répondit Valentine. On le pend par les pieds et on découpe une entaille sur son crâne pour laisser le poison s'écouler.
— On est obligés de le pendre par les pieds ? soupira Fleur qui commençait à se lasser de tous ces rituels absurdes.
— Oui. Le cœur doit se retrouver à l'envers.
Avec sarcasme, Fleur leva les mains au ciel, comme pour dire « évidemment, suis-je bête ».
— Et où est-ce qu'on peut faire ça ?
— J'ai bien une idée, mais ça risque de te déplaire, avertit Valentine.
Fleur agita l'index pour signaler son refus.
— Il en est hors de question.
*
Pierre Foladel ouvrit la porte de son manoir, curieux de voir qui avait sonné. C'est avec ravissement qu'il découvrit sa fille, accompagnée de Félix et Fleur.
— Bonjour ! lança-t-il avec entrain.
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La Famille Malcius - Tome 1
ParanormalComme le veut la tradition, Félix héritera d'un démon la veille de ses seize ans. Un évènement important que sa famille s'impatiente de célébrer. Pourtant, le garçon est loin de s'en réjouir. L'occultisme n'est pas sa tasse de thé et s'il pouvait se...