Chapitre 21

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Lundi matin, huit heures. Dissimulé derrière le col d'une montagne, le soleil se levait timidement et ressuscitait l'azur d'un ciel à peine strié de ouate. Une belle journée s'annonçait. Les élèves du lycée s'en réjouissaient. Si le temps continuait à lutter contre les premières fraîcheurs hivernales, Halloween pourrait se faire en plein air. Les plus impatients avaient déjà commencé leur costume, inspirés par les derniers films d'horreur passés au cinéma. D'autres songeaient à la soirée qui se profilait.

À Saint-Mérand plus que partout ailleurs, on ne plaisantait pas avec Halloween. Sauf Félix, qui, à force de voir des monstres, ne souhaitait pas leur ressembler. Ne serait-ce pour une nuit.

Les enfants Malcius, accompagnés des enfants Foladel, étaient adossés au grillage du lycée. Ils surveillaient le portail qui donnait accès à l'établissement et étudiaient méticuleusement les élèves qui passaient devant eux. Leur regard balayait les visages inconnus, à l'affût du moindre signe de possession. Des cernes un peu trop tirés, des traits plus affaissés qu'à l'ordinaire, des yeux vitreux, un teint livide. Ces altérations physiques étaient des indices qui pouvaient les mener jusqu'aux goules. Mais, lorsque les derniers élèves entrèrent dans le lycée, les jeunes démonistes comprirent que leur mission ne serait pas aussi simple que prévu.

Théo jeta sa cigarette et l'écrasa du talon.

— Nos deux victimes doivent être absentes, déclara-t-il. Peut-être que les goules les ont rendus malades et qu'ils sont restés chez eux.

— Ne jette pas ton mégot par terre, l'avertit son frère.

Théo bougonna et ramassa le mégot pour le jeter dans une poubelle.

— Donc, reprit-il. Je propose que nous attendions que les professeurs fassent l'appel en classe. Ensuite, nous irons à l'intendance pour voir qui n'est pas venu ce matin.

— Tu crois vraiment que l'intendance va coopérer ? douta Clément en chassant les frisottis sur son front.

— Je ne vais pas leur laisser le choix.

D'un commun accord, les six complices séchèrent la première heure de cours. Après trente minutes, ils se rendirent à l'intendance et toquèrent à la porte. Une femme à la voix enrouée les accueillit.

— C'est pour ? demanda-t-elle avant de tousser dans sa main.

— Bonjour madame, je m'appelle Théo. Je suis dans la classe de... Ah, son nom m'échappe toujours. Bref, cet élève est malade aujourd'hui et je dois lui remettre des cours très importants. Le problème, c'est que je ne sais pas comment il s'appelle. Vous pourriez m'aider ?

La secrétaire et ses collègues quittèrent leur écran des yeux pour consulter le garçon, intriguées par sa requête.

— Je ne comprends pas, quand un élève est absent, son professeur lui envoie les cours par email. Et puis, qu'est-ce que vous faites là, tous les six ? Vous n'êtes pas en classe ? Je vais...

— Dors.

Théo claqua des doigts. Les secrétaires s'endormirent brusquement et s'affalèrent sur leurs fauteuils.

— Théo ! s'exclama Fleur. Qu'est-ce que tu fous ?

— On perd du temps. Verrouillez la porte pendant que je jette un œil aux feuilles d'appel.

Il se dirigea vers un bureau et récupéra une pile de feuilles. Rapidement, il trouva ce qui l'intéressait et nota les absents sur un calepin. Il y en avait vingt-sept en tout.

— J'ai fini, dit l'adolescent.

Le groupe sortit discrètement et s'isola dans la bibliothèque du lycée. D'ordinaire, l'endroit n'était pas très fréquenté en semaine et le lundi matin ne faisait pas exception.

Ils passèrent devant le responsable installé à l'entrée. L'homme, étonné de recevoir du monde de si bonne heure, les lorgna d'un drôle d'air puis retourna à ses activités. Fleur dénicha une table dans un coin et tous l'investirent.

— On doit trouver ceux qui étaient à l'anniversaire de Félix, expliqua Valentine.

Les Malcius comparèrent les invités avec les absents de ce matin. La liste fut réduite à une série de trois noms.

— Ces trois personnes peuvent être possédées par une goule, trancha Fleur en rassemblant ses mèches blondes en une queue de cheval.

— Comment on procède ? s'enquit Félix.

Il n'y avait qu'un seul moyen de savoir si un démon s'était immiscé dans la conscience d'un malheureux. La manœuvre consistait à verser quelques gouttes de lait caillé sur son front et, si le liquide se mettait à bouillir, c'était la preuve qu'une entité l'occupait.

— Ensuite, on extrait le démon avec une chaîne sans fond, compléta Clément. Maintenant, formons trois équipes de deux.

— Je vais faire équipe avec Félix, annonça Fleur.

Gabriel et Clément échangèrent un hochement de tête. Ils formeraient l'équipe numéro deux.

Théo afficha un sourire narquois et se tourna vers sa sœur.

— On dirait qu'on repart en mission tous les deux, frangine. Tu éviteras de tuer tout le monde cette fois.

Valentine serra les dents. Une ombre surligna les contours de son corps et Théo reçut un coup dans le plexus. Il se cambra de douleur et se soutint à la table pour ne pas s'effondrer.

— Je...ne l'...avais pas...vu...venir...celui-là.

Clément se mit à rire.

— C'était bien envoyé.

Valentine le gratifia d'un clin d'œil que le jeune homme lui rendit.

Fleur leva les mains en l'air en signe d'opposition.

— Je vois très bien ce qui se passe ici, et il en est hors de question. Et toi, contiens ta libido pour une fois, ordonna-t-elle à son frère.

Néanmoins, son avertissement n'eut pas le moindre effet. Théo, qui reprenait son souffle, trouva le moment opportun pour plaisanter.

— Visiblement, nos familles vont se réconcilier. Il serait temps qu'on fasse connaissance tous les deux, tu ne penses pas ?

Fleur lui envoya un nouveau coup au plexus et le garçon partit en roulé-boulé entre deux étagères.

La Famille Malcius - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant