L'aube traînait ses lueurs rosées sur les toits d'Inive. La journée s'annonçait ensoleillée. Les oiseaux s'égosillaient dans le jardin du palais, le long des canaux, dans les vergers. La plupart des citadins dormaient encore, quelques prêtres épilés préparaient le temple pour les rites matinaux. Le roi revenait des bains où il avait traité des affaires les plus urgentes avec Aga Saĝĝu. Les pluies inespérées avaient rempli les réservoirs. La vie agraire avait été secouée comme un taureau piqué par un taon. Les paysans, tannés du matin au soir, avaient retourné l'humus de leurs araires en ensemençant les champs à chaque passage. Ils avaient fait leur part, désormais c'était aux prêtres d'appeler la bienveillance des dieux pour que l'orge ait le temps de mûrir. Le mois du milieu de l'année n'allait pas tarder. Si Uth le permettait, ils auraient une seconde récolte avant l'hiver : un miracle.
Le roi s'immobilisa sur le seuil de ses appartements. Assise sur le trône où il aimait recevoir, Cendre donnait le sein à son enfant. Du siège, la vue sur les jardins enchantait, le son de la fontaine ravissait l'âme durant les longues heures où les courtisans privilégiés venaient le solliciter jusque dans sa chambre. Le contre-jour offrait l'avantage de distinguer les traits des interlocuteurs tout en demeurant dans la pénombre. La clarté du levant, dorée par les tentures aux tons chauds, découpait le profil de la mère. La vraie mère de sa descendance. Hypnotisé, le roi s'avança.
Cendre leva les yeux à son approche. Elle chuchota pour ne pas déranger En-Iris dont les paupières tombaient de sommeil après une mauvaise nuit :
– La reine m'a demandé de rester. Elle est au jardin.
Le roi frémit au son de sa voix. Il arrêta d'un geste le mouvement qu'elle avait amorcé. Il n'avait pas envie qu'elle s'en aille. Il se souvint la Shangaïn donnant naissance sur son lit, la force de sa volonté lorsqu'elle avait échangé les bébés. On l'avait précipitée dans les escaliers, mais elle avait agi avec une clarté stupéfiante. Il se rappela comme elle était sortie, en titubant, défigurée par ses plaies, en se chargeant de l'enfant mort-né. Puis, telle une louve, elle avait protégé sa fille de la lame d'En-Uthzi. Enragée, détrempée de pluie, elle se dressait dans sa mémoire. C'était comme si parmi tant d'images, de peurs, il revoyait cette femme se mettre entre les agresseurs et son enfant. Leur enfant. La gorge sèche, soudain intimidé, le roi caressa la joue d'En-Iris, il frôla le sein de Cendre. Leurs regards s'arrêtèrent, s'entrelacèrent. Le roi se pencha, son cœur tambourinant dans sa poitrine, il embrassa la bouche convoitée.
Cendre gémit. La barbe fournie la chatouille. La douceur la surprend. La délicatesse des doigts qui effleurent sa nuque. Elle entrouvre les lèvres, accueille le baiser. Elle frissonne au contact de la langue inquisitrice, timide. Son pouls se précipite. Qu'est-ce qui me prend d'embrasser Sa Sublime ! Elle n'écoute pas ses pensées affolées. Elle attire la tête du roi à elle.
Les tentures de la chambre s'écartèrent. Le roi se retira vivement comme un adolescent pris en faute. Son mouvement le surprit lui-même. Personne ne s'étonnerait d'une nouvelle concubine. Son défunt père lui en avait offert dès l'apparition de ses premiers poils. Sa vie avait trouvé un équilibre entre devoir et plaisir. Mais soudain, cette femme éveillait des sentiments d'un tout autre ordre. Il n'y avait eu aucun calcul dans leur baiser, la mère de son héritière avait ressenti le même attrait, la même évidence. Troublé, il fit signe à l'Oracle de la reine de s'avancer.
Sisha pénétra la chambre royale sur une révérence. Elle maîtrisa ses traits pour ne pas laisser voir la surprise que la scène avait provoquée. La sauvage installée sur le trône, l'enfant illégitime entre Sa Sublime et elle. Un présage ?
– J'apporte la statuette de la déesse Nanay que Sa Majesté a demandée.
Cendre en profita pour se lever. En-Iris s'était endormie. Elle la déposa dans son berceau, puis se retira, les jambes flageolantes.
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Shangaïn 4. Les héritiers des dieux
Historical FictionDernier tome! Si vous n'avez pas lu les autres tomes, je conseille de les lire d'abord ! À l'équinoxe d'automne, les recherches pour trouver leurs disparus entraînent les Shangaïn dans les plaines entre le Tigre et l'Euphrate infestées de conflits a...