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La veille, Corb avait humé le ciel chargé de nuages lourds en grimaçant. Au matin, la neige tombait sur Jeera. Les toits de pierres étaient blancs. Devant la porte de la forge, il prit une grande inspiration. L'odeur lui rappela l'hiver dans la grotte de l'ours. Il eut un frisson. Les souvenirs l'assaillirent : la faim, le froid alors qu'il restait immobile à scruter la plaine, nourri de l'espoir de tirer un lièvre.

Il se demanda une nouvelle fois si Pat avait réussi à traverser le pierrier. Il pensait sans cesse à l'accident. Il revoyait Mowo glisser dans la rivière, il entendait le ramdam assourdissant des chutes de pierres. Il sentait la terre trembler. Ses jambes se ramollissaient au souvenir.

Malgré un sentiment d'injustice, Corb ne put s'empêcher de prier pour Narcissa et son frère :

– Ô, Shanga, protège-les !

Niloofar montait vers la maison de Zaros, des moules d'argile dans sa hotte. Petite figure sombre sur la vallée blanchie. Elle secoua les flocons de ses cheveux en saluant Corb :

– Que Yamaël te bénisse !

Corb hocha la tête. Il contemplait le village, les flancs immaculés de la vallée, les nuages accrochés à la crête.

Niloofar disparut dans la forge. Corb entendit les voix de Zaros et Arezoo qui l'accueillaient.

Corb resta immobile sur le seuil. Ses pieds pesaient aussi lourd que des rochers. L'hiver était arrivé. Sa jambe était guérie, il boitait encore lorsqu'il était fatigué. Que faisait-il loin des siens ? Il déglutit.

Les flocons lui volaient à la figure, mais il demeura sur le pas de porte, comme cloué par le spectacle. Il était toujours dans la même position, ses épaules blanchies quand Niloofar ressortit de la forge.

Les yeux de l'ancienne dignitaire de Jeera se plissèrent, son visage ridé prit l'expression d'un singe malin.

– Eylo est venu me demander conseil, lui lança-t-elle à brûle-pourpoint.

Corb détourna le regard de la crête enneigée sous les nuages. Il observa la vieille Niloofar en se demandant ce qu'elle lui voulait.

– Il souhaite te remercier, tout en évitant que tu t'offenses.

– Que je m'offense ?

– On te trouve susceptible, à Jeera. Passe le voir, vous réglerez ça entre vous.

Corb repéra Eylo assis devant sa maison. La curiosité avait été plus forte que ses réticences. Le mineur se leva en apercevant le Shangaïn.

– Corb, je te dois la vie. Sans toi, je serai mort d'épuisement sous les décombres.

Corb hocha la tête. Il souffla sur les cheveux qui lui barraient le front.

– Tu aurais fait pareil pour moi.

– Le cuivre que j'ai extrait de l'ancienne mine... Il a failli me tuer.

Corb lui demanda :

– Pourquoi avoir risqué ta peau dans cette galerie ?

– Nya, soupira Eylo comme si ceci expliquait cela. Je voulais m'en aller d'ici. J'ai pensé que si j'étais riche, je partirais le cœur plus léger. Les dieux m'ont fait voir les choses différemment.

Corb ne répondit rien. Eylo poursuivit :

– Niloofar m'a suggéré que je t'offre le minerai, vu que tu m'as sauvé. Que tu l'accepterais mieux s'il venait de moi, plutôt que suite à une répartition dans la grande halle. Ce que je dis, c'est que ce cuivre, je te le donne.

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant