Le Simoon soulevait le sable par rafales. Les contours de la ville se distordaient dans l'air poussiéreux. Les nuages qui avaient alourdi les plaines durant les derniers jours s'étaient évaporés sans relâcher la pluie qui aurait délivré la cité de l'électricité accumulée jusque dans ses ruelles tortueuses.
Hommes et bêtes se terraient derrière les murs, suffoquant dans la recrudescence de chaleur créée par les bourrasques. Cendre bravait le vent dévastateur, exposée sur le toit du palais. Elle scrutait l'horizon.
Elle avait passé toute la matinée dans les bras d'Anenuth enivrée de leur passion. L'admiration du roi soulevait des vagues sous sa peau. Il la caressait comme un rare trésor. Il léchait le lait de ses seins. Vorace, il enfouissait sa barbe dans son intimité, toute sa chair réagissait à ses élans. Elle le désirait tout entier en elle. Elle aurait voulu qu'il la pénétrât, sexe, corps, cœur, tête. Elle ne connaissait plus de limites dans ses bras. Il l'enivrait. Leur plaisir l'enivrait. Les ragots couraient dans le palais, de servante en servante, dans l'aile des concubines délaissées, dans les cuisines, et jusqu'au quartier des esclaves. Elle allait devoir répondre au roi ; jour après jour, il la courtisait et, nu devant elle, il lui répétait sa demande en mariage. Mais elle n'avait pas envie de choisir. Dire oui au roi signifiait rester à Inive avec Iris. Mais ça impliquait de tourner le dos à sa tribu.
À Hadenne, elle guiderait le clan de l'Ibis, les hommes libres de venir ou de repartir. Le long du Zagr, tout le monde trouverait normal que j'aie deux hommes. Moi qui rêvais d'un compagnon unique ! L'ironie de sa situation ne lui échappa pas.
À Inive, dire oui au roi signifiait que son compagnon aurait plusieurs épouses et elle, un seul homme. Ça signifiait dire non à Jaim.
Dire non à Anenuth signifiait laisser Iris. Dire non au roi pouvait aussi embraser sa colère, quelles seraient les conséquences pour la paix gagnée par Mani ? Qu'allait-il advenir de la relation entre Inive et les Shangaïn, si elle se refusait ?
Dire oui à Anenuth, c'était s'attirer la haine de la reine. Elle avait choisi une vieille femme comme Grande-Prêtresse pour ne pas entamer son autorité. Comment allait-elle tolérer une nouvelle épouse, qui plus est, la vraie mère de la princesse ?
La haine de la reine ou la colère du roi, l'amour de Jaim ou perdre Jaim, vivre avec Iris ou vivre avec sa tribu. Embrasser une destinée claquait des portes.
Le Simoon jetait du sable dans ses yeux à chaque rafale. Mais au moins sur le toit, personne ne la dévisageait. Par contre, ses questions l'assaillaient sans trêve.
La disciple de Bauba la rejoignit, la tête rentrée dans les épaules, aveuglée par le vent poussiéreux, elle tenait un châle rabattu sur En-Iris. La reine ne faisait confiance à aucun autre médecin. Depuis son empoisonnement et la délivrance du garçon mort-né qui en avait résulté, elle ne laissait la princesse qu'avec Asû, Cendre ou Sisha l'Oracle, les femmes au courant de son secret. Elle ne pouvait prendre le risque de perdre son héritière — fut-elle le bébé de la sauvage — sa position se fragiliserait.
Elles s'abritèrent dans la tour d'angle. Cendre tendit les bras pour recueillir sa fille. Elle la souleva jusque devant son visage. Une touffe de cheveux noir de jais, des yeux clairs qui ne semblaient pas vouloir foncer, En-Iris écarquillait les mirettes.
– Bonjour princesse, gazouilla Cendre.
Au-dessus des rafales, Asû annonça :
– Sa Majesté a choisi une nouvelle nourrice !
Pas besoin d'être devin pour comprendre pourquoi la reine changeait de nourrice. Tout le palais parlait des cadeaux que recevait la belle Shangaïn de la part du roi.
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Shangaïn 4. Les héritiers des dieux
Historical FictionDernier tome! Si vous n'avez pas lu les autres tomes, je conseille de les lire d'abord ! À l'équinoxe d'automne, les recherches pour trouver leurs disparus entraînent les Shangaïn dans les plaines entre le Tigre et l'Euphrate infestées de conflits a...