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À Jeera, la température fraîchissait rapidement le soir. Déjà, les feuilles tournaient au jaune. Le vent battait contre la porte de branchage. Arezoo posa la marmite au centre de la table, puis se laissa tomber sur la banquette. Zaros appuyé au mur jeta un regard en dessous à Corb :

– Tu viendras, demain ?

Corb soupira en soufflant sur la mèche noire qui lui barrait le visage.

– Tout le village est invité, ajouta Arezoo.

– Je ne pense pas que Nya souhaite ma présence pour son mariage.

– Tu ne vas pas rester seul, enfermé toute la journée ! s'irrita la femme du forgeron.

Arezoo servit la soupe. Corb repoussa le bol.

– J'ai pas faim.

– Mange ! lui intima Zaros. Tu dois prendre des forces.

– Fais au moins une apparition. Accepte un morceau des moutons que Tavi a fait sacrifier pour le festin, tempéra Arezoo.

– Nya n'aura pas attendu longtemps pour me remplacer, commenta Corb.

– Elle avait peut-être ses raisons, insinua Arezoo.

Corb haussa les épaules.

– Et Eylo? voulut-il savoir.

– On ne le voit plus beaucoup, répondit Zaros. Ses espoirs d'épouser Nya anéantis, il se traîne comme une âme en peine.

Le lendemain, le soleil n'avait pas atteint le zénith lorsque des cris d'allégresse s'élevèrent de Jeera. Corb avachi sur la couche de Zaros se raidit. Les vœux sont prononcés. Il se gratta le fémur qui le démangeait tout le temps depuis que Pat l'avait brisé. Le chien beige à l'oreille noire tira la peau de mouton sur laquelle Corb était allongé. Sa force était impressionnante. Un vrai molosse. Corb joua avec lui pour différer le moment où il allait rejoindre les festivités.

Il descendit vers Jeera appuyé sur sa lance, en boitant lourdement. Le chien lui emboîta le pas. Corb ne pouvait s'empêcher de voir Pat parcourir les montagnes avec Rouquine. Bon sang, Pat, on se ressemble comme deux graines de caroube dans leur cosse, chacun un clebs sur ses talons ! Il s'adressa à son inattendu compagnon :

– Si tu continues à me suivre, toi, il va te falloir un nom.

Le molosse remua la queue, ses quinquets bruns pétillants d'anticipation.

Devant le grand hall, des bancs avaient été alignés. Des quartiers de mouton rôtissaient depuis le matin. L'odeur embaumait l'air sec. Les femmes du village coupaient des lamelles de viande qu'elles distribuaient aux hôtes du mariage. Le père de Tavi puisait de la bière, il vidait allègrement son propre gobelet.

Corb accepta une part de grillade. Il boita jusqu'au dais où Nya et Tavi étaient installés. Toutes les têtes suivirent sa progression, qui ouvertement, qui avec discrétion. Cano garda ses distances. Il considérait Corb comme une espèce de monstre qui avait voulu l'envoyer à sa mort. Pire, l'exiler. Niloofar se comportait comme s'il était devenu transparent. Esfir et Jîwar, les parents de Nya, interrompirent leur conversation.

Tous se turent. Nya leva les yeux. Elle portait une couronne de fleur dans les cheveux. Corb eut le temps de voir l'éclair de ses dents blanches et l'espace charmant entre elles, avant que la jeune mariée ne serrât les lèvres dans une moue dépréciative qui la fit ressembler à sa mère.

– Nya, Tavi, mes vœux de bonheur, articula Corb dans le silence.

Il prit une bouchée de viande. Tous suivirent ses mastications. Arezoo hochait la tête, encourageante.

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant