La ville

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Gul Babak de Guad-Dar suivait de près l'ascension de Mani. Sa ressemblance avec les jeunes gens de son pays éveillait en lui des sentiments paternels. Il aurait souhaité lui faire découvrir les vallées de ses ancêtres. Mais d'abord, il devait renflouer son négoce. Malgré leurs promesses, les anciens insurgés qu'il avait accompagnés à Bab étaient aussi démunis que lui. De sa myrrhe séquestrée, il ne restait que le souvenir. Les Bab'ēls suaient pour remuer du limon ; or ce n'était pas des poignées de terre qu'il allait pouvoir troquer sur les marchés Guad-Dar. Il attendait une opportunité. Depuis que Mani avait l'oreille de Sa Sublime — un Guad-Dar, conseiller du roi d'Inive ! — Gul Babak y voyait la clé de ses problèmes. Il vint le trouver sur le chantier de sa nouvelle demeure.

Mani tentait de se faire entendre en gesticulant devant ses ouvriers. Effaré, le maçon balbutiait :

– Comment ça, Um', un mur avec des trous ?

Il avait dû mal comprendre le langage écorché. Suivre l'In-genus dans ses explications demandait un certain génie.

– C'est pourtant simple, vous n'empilez qu'une brique sur deux !

Les ouvriers se regardèrent en secouant du chef. Le Conseiller du roi avait perdu la tête. Il voulait un mur troué pour son atelier tout neuf.

– Excuse-moi de te bousculer, Mani, l'interrompit Gul Babak. Le patriarche m'a demandé de venir te chercher. Nous avons un souci.

Mani se passa les mains sur le visage. Encore des problèmes à résoudre. Il ne faisait plus que cela. Il avait toujours aimé réfléchir, trouver des solutions à n'importe quelle complication, mais là ça devenait intenable.

Il s'accroupit face aux maçons. Se saisissant des briques, il les empila afin de laisser du jour entre elles.

– Comme ça, jusqu'au plafond !

Il se releva, secoua la poussière de sa jupe. Puis, s'adressant à Gul Babak :

– Allons-y ! Tu m'expliqueras en chemin.

Avant de quitter le chantier, il ordonna à Zilulu :

– Veille à ce qu'ils reproduisent la façade ajourée comme dans l'atelier d'Inive. Le mur... euh, nord.

Il peinait à utiliser les quatre horizons des citadins. Zilulu se posta derrière les ouvriers, l'air sévère.

Mani et Gul Babak passèrent par la ferme des al Khali pour prendre les deux mules. Partout autour de Qish, on moissonnait. La famine s'était éloignée des terres entre les deux rivières. Le miracle avait eu lieu, la seconde récolte tenait ses promesses. Les paysans chantaient. Le clergé local bénissait les champs à tout va, il mêlait le nom d'Uth à celui des mages étrangères : Celui qui leur avait offert l'abondance et leur salut, Shanga. Mani branla du chef à la mention de son dieu sur les lèvres d'un prêtre des plaines.

– Es-tu satisfait de ta récolte ? s'enquit poliment Gul Babak.

– Ma récolte ? Ah, ça... Oui, oui.

Mani oubliait qu'il avait désormais des terres dont s'occupait un métayer. Posséder des choses était toujours aussi abstrait pour lui.

– Peut-être voudrais-tu bénéficier de mes conseils pour gérer tes biens ?

L'air moite collait la sueur aux corps dénudés des fermiers, plaquait la jupe sur les cuisses de Mani. Les mouches s'affolaient autour des bêtes comme des hommes. Mani les chassa d'un revers de main. C'est vrai que je vais me retrouver avec un grenier...

– Pourquoi pas ?

– Il est difficile de s'enrichir lorsqu'on a rien, lui expliqua Gul Babak, mais du moment qu'on possède un surplus, c'est une autre histoire.

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant