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Par la fenêtre de son office, Zak suivait le ballet des barques qui fournissaient les marchés de la cité. Il dépérissait. Sans Louvain et la force de sa jeunesse intacte, sa vie avait perdu de sa saveur. Il s'était désintéressé de la nouvelle ferme de Qish. Khaled y avait envoyé un subalterne. Même les bains étaient devenus tristes. Une nuit, Wakané et Zabalam s'étaient massées devant lui. Les volutes noires et blanches de leurs corps emmêlés n'avaient pas réussi à le tirer de sa mélancolie. Son pénis était resté mou. La courte expérience dans la forêt, sauvé d'une mort certaine par l'adolescent chevauchant tel un demi-dieu, ne s'était plus reproduite. Une étincelle d'espoir éteinte sous la pluie. Il avait résisté si longtemps à l'emprise des années. Il avait méprisé les hommes qui se courbaient sous le poids des ans, qui succombaient à des grippes ou de simples fièvres, alors que l'élan d'un jeune taureau coulait dans ses veines. Mais depuis la disparition de Louvain, cette force s'était brisée.

Il se retourna à l'arrivée de Gavra et du couple de chasseurs shangaïn.

– Gavra, tu tombes bien ! Obadiah est de retour.

Il l'annonça comme une condamnation à mort. Le serviteur se tenait contre le mur à côté de l'entrée. Il expliqua :

– Nous avons rattrapé la caravane partie le lendemain de la cérémonie. Personne n'y a vu Louvain. Où aurions-nous dû mener nos recherches ? Les terres entre les rivières s'étendent jusqu'à la Grande-Eau !

Clémence retint un juron.

– Vous m'avez fait appeler ? demanda Fer-le-troqueur en pénétrant dans la pièce.

À la nouvelle de la disparition de Louvain, il était revenu en toute hâte à Inive. Il pila net en découvrant Cheyd et Clémence dans l'office de son père. Les traqueurs l'avaient rattrapé.

– Ah, Firdaus, s'exclama Zak. Les recherches d'Obadiah ont été vaines.

Le troqueur vacilla. Clémence lâcha la question qui l'obsédait depuis qu'ils avaient traversé le Tigre :

– Qu'as-tu fait de Tibo ? Tu l'as vendu ?

– Qu'as-tu fait de Louvain ? renchérit Gavra. Il craignait que tu l'élimines.

Cheyd lâcha sa colère :

– Tu nous prends pour des demeurés. Tu nous ramènes un métal minable alors que tu vis entouré de bronze ! Quel salaud vole son peuple ?

– Mon peuple ? ricana Fer. Tu ne m'as jamais considéré comme un Shangaïn. Je suis moins bien traité qu'un étranger de passage.

– Qu'as-tu fait de Tibo ? s'obstina Clémence.

Comme une belette acharnée, elle tenait enfin son ennemi entre ses dents. Elle n'allait pas le lâcher.

Le regard de Fer passait de l'un à l'autre. Il ne pourrait plus retourner à Hadenne. Son peuple le soupçonnait d'avoir éliminé les khoutuka. Des souvenirs se frayèrent un chemin dans sa mémoire. Il les étouffa avant qu'ils ne le submergent. Quant à Zak...

En fixant son père dans les yeux, Fer constata, amer :

– Tu as ruiné ma vie, une fois de plus.

– Je t'ai sauvé. Et pas qu'une seule fois. Je t'ai soustrait à une mise à mort, ne l'oublie pas.

– Une exécution ordonnée par toi même ! rugit Fer.

Tous les mots accumulés dans sa poitrine se bousculaient. Une vie à se taire. La morgue de Cheyd et Clémence juxtaposée à celle de Zak le fit exploser :

– Comme c'est commode ! Être le sauveur de ses propres condamnations. Tu es le juge, le rédempteur et le bourreau. Bravo ! Bravo !

Hors de lui, il jetait ses bras en l'air comme devant le spectacle d'un montreur d'ours.

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant